A qui doute de mon innocence

Publié le 7 juin, 2016

0

Huffington Post – « Affaire Baupin »: Quand la presse se fait juge

Cela fait un mois que la réputation du député Denis Baupin a été jetée en pâture dans les médias et l’opinion publique, par deux journalistes mués en procureurs. Et qu’il attend que la justice, la vraie, l’interroge, dans au mieux un mois et peut-être plus.

La presse est un quatrième pouvoir, souvent le bienvenu, complétant le triptyque de l’exécutif, du législatif et du judiciaire. Peut-on pour autant laisser un duo de reporters remplacer la justice, ses procédures si complexes et équilibrées, construites sur des preuves soumises au principe du contradictoire?

Un procédé hâtif a tenu lieu de procès; et ce alors que la gravité du sujet -le harcèlement et l’agression sexuels- exige encore plus une justice, certes lente mais prudente et précautionneuse.

Commençons par la confrontation des versions entre les accusations recueillies durant des semaines et le député? Le respect du contradictoire est un vieux principe, cher aux gens de robe comme aux gens de presse. Il oblige à échanger loyalement pièces et arguments.

Les mails envoyés par les journalistes de Mediapart et de France Inter à mon client pour recueillir son avis sont loin du compte. J’ai considéré, après un quart de siècle de barreau, que le contradictoire, ce ne sont pas de fausses questions, larges et biaisées à charge, ne précisant ni date (sur une vie politique de trente années), ni nom d’accusatrice ou de témoin, ne décrivant aucun acte.

Il a été demandé au député, moins de quatre jours ouvrés avant la parution, en une, des accusations: « Plusieurs témoignages évoquent des contacts physiques délibérés. M. Denis Baupin s’est-il rendu compte que ces gestes pouvaient être assimilés à une agression sexuelle? » Quel honnête citoyen répondrait autrement que: je ne peux que nier, et je ne sais pas de quoi, de qui, de quand vous me parlez.

Quant aux SMS litigieux, aucun ne lui a été soumis. Et pour cause.

Je relis encore cette question, toujours sans date ni nom ni texte de message mentionné: « Plusieurs témoignages évoquent notamment l’envoi de nombreux SMS sur le registre de la séduction, ou invitant à une relation sexuelle ou à caractère pornographique. M. Denis Baupin s’est-il rendu compte que ces envois répétés pouvaient être assimilés à du harcèlement sexuel? »

Aucun de ces dizaines de messages, dont il est fait état à n’en plus finir dans les deux enquêtes, où leur existence est affirmée comme constituant la preuve de multiples délits, n’est recopié ou cité dans chacun des deux articles de plusieurs pages. Personne ne les a conservés, nul ne les a relus. Sauf mon client et moi qui les confierons, avec le téléphone portable, à la police judiciaire, qui a les moyens de vérifier l’authenticité et l’entièreté des messages échangés.

Faute de place et par prudence -pour ne pas être accusé à mon tour d’avoir attenté à la vie privée de ces correspondantes, je vais rester délibérément flou, moi qui les ai tous examinés durant des journées entières.

Deux des quatre premières accusatrices répondent ainsi à mon client, sans ambiguïté (et dans une graphie et des coquilles propres aux SMS):

– l’une assène: « tu as affaire à une (…) amoureuse et comblée par ses amants c’est mal barré », suivi d’un sourire en smiley. Puis la drague s’arrête et on continue de parler politique: « si je fais l’inauguration de ma (…) le lundi 1er octobre, seras-tu dispo? j’attends ta réponse avant de bloquer »
– une deuxième, au lendemain d’une supposée agression sexuelle narrée comme traumatisante, discute ainsi sans souci aucun. Lui propose: « on se prend un café ou un dej quand tu viens à Paris? » et elle de répondre « ouais sans problème vendredi par ex ». Lui: « Quel enthousiasme! (avec smiley) ». Et elle: « Ben ouiiiiiii !!!!! Avec plaisir ». Et ainsi de suite…

Je ne cherche ni à plaider, ni à convaincre. Lisons un dernier échange, où une troisième accusatrice écrit, alors que Denis Baupin, au fil de leur jeu érotique à distance, lui suggère une scène: « Continue sur le registre Choderlos de Laclos (smiley) ». Elle continue: « Poufffffffff chaleur… Humide ». Elle dit encore: « Content de toi? mais change pas ma position ». Et aussi: « Tu veux quoi que je te fasse monter la tension à ne plus pouvoir te retenir; Te dire que lionne n’est pas qu’une image, que j’aime le sexe sans limite libre, et un peu extrême que je n’aime rien tant que faire monter jusqu’à ses limites. Que j’en ai peu… ». Et enfin « Comme si tu avais besoin de ça… Et les bottes oui ça a l’avantage d’afficher la couleur les cuissardes: Suis pas une sainte nitouche ni un ange ».

Des centaines de SMS échangés avec plusieurs femmes attestent donc que « non, c’est non » pour Denis Baupin. Et que « oui, c’est oui » pour certaines… Et que la vie de toutes ces personnes est bien plus complexe que les deux journalistes ne l’ont affirmé.

Encore une fois, aucun de ces SMS cruciaux n’est cité depuis un mois: pas un n’est apparu, ni à charge, ni à décharge, sous leur plume, ou durant le show de trois heures organisé par Mediapart, en live.

A ce stade de mon propos, une réflexion s’impose: soit nos deux journalistes ont lu ces SMS si problématiques. Et cette lecture ne leur permettait pas de les ignorer au point de mentir sur leur contenu et leur sens. Or ledit contenu anéantit une grande partie des accusations, de celles que l’on peut contrer en rapportant, en accusé, la preuve de l’innocence! En acceptant de renverser la charge de la preuve, qui incombe aux accusatrices et à leurs porte-paroles.

Soit les deux journalistes n’ont pas cherché ces SMS: et c’est grave, car cela dénote de la paresse très négligente. Quelle que soit la raison, si ces deux journalistes n’ont pas lu ces SMS, il fallait écrire à leur sujet avec la plus grande prudence.

Évoquons justement la présomption d’innocence, ce principe fondamental, pas plus respecté dans cette affaire, dont il ne reste plus, en guise de déontologie, que des lambeaux.

Le procédé est odieux; le résultat est épouvantable et sans doute irrémédiable.

Deux journalistes se sont affranchis des règles qui permettent d’avoir confiance dans la presse française, chantre de la liberté d’expression, mais qui prend soin, habituellement, de « recouper » les informations, de les vérifier.

Je suis contraint de verser à la justice la vie privée de mon client, ces jeux libertins, en soulignant, mais le mal est fait, que la drague, l’absence de pudeur, même l’adultère, ne sont pas répréhensibles. Or, mon client qui a toujours épargné à ses concitoyens l’étalage de sa vie privée, doit aujourd’hui poursuivre et la presse à scandales et la presse dite publique qui, affranchie de la censure, en a oublié la mesure et son essence.

Les voilà dans Closer, chassés par les paparazzis, avec leurs enfants en bas âge. Merci la presse donneuse de leçons. Aller à l’école chercher sa progéniture est devenu un calvaire. Les parents vous regardent tous de travers… parce qu’ils ont lu le journal et ses gros titres sans nuances. Merci Mediapart et le service public.

J’ai eu l’occasion de le rappeler à ces deux journalistes lorsqu’ils ont voulu revenir à la charge, sans plus de bienveillance pour ces règles du contradictoire et de la preuve si inhérentes au débat démocratique, qu’il soit judiciaire ou médiatique.

Ils ont réitéré, refusant cette fois d’écouter en « off » mon client, qui voulait répondre à des noms précis en parlant de la vie privée de ces femmes, de leurs motivations politiques ou autres (et il y en a pour toutes). Ils lui ont répondu avec arrogance: on enregistre tout, laissant la responsabilité à Denis Baupin d’être bel et bien poursuivi pour atteinte à la vie privée de ces femmes… Étranges reporters s’autorisant à citer à tour de bras des anonymes et refusant d’écouter une défense qui s’efforçait de ne pas désigner des femmes à la vindicte générale.

Quant aux accusations, certaines ne pourront jamais être ni prouvées… ni infirmées. Il est en effet impossible de prouver qu’un fait -comme une agression sexuelle dans le bureau d’une fonctionnaire, aussi invraisemblable soit-elle- n’a pas eu lieu. Et ce alors que rien n’en atteste, que nulle plainte n’a été portée durant des années, qu’il n’existe aucun témoin direct, que la plupart de ces femmes envoient en revanche des SMS plus qu’ambigus?

Pire encore: nombre des femmes qui parlent « contre » Denis Baupin, des femmes ayant des convictions politiques, un bagage éducatif, qui ont su braver le machisme généralisé, disent elles-mêmes que ce qu’elles ont vécu n’est pas, à leurs yeux, répréhensible. Est-ce alors aux deux journalistes de requalifier ces faits et de brandir le code pénal, comme s’ils étaient des magistrats? Je lis sous leurs plumes à plusieurs reprises que n’en déplaise à ces femmes, adultes, brillantes, qu’elles ont tort en droit!

Il y a aussi les dizaines de témoins ignorés ou négligés par le duo, témoins de vie, témoins du quotidien, témoins politiques capables d’expliquer des machinations et des complots, si singuliers des partis français, et notamment des écologistes. Presque aucun n’a été entendu, et en tout cas pris en compte, en tant que tel avant la parution de leur pseudo-enquête.

Gardons en dehors du présent débat les éléments intrinsèques à toute poursuite pénale et à toute condamnation que sont la distinction entre « élément matériel » et « élément moral » ou même le contexte. Là encore, notre duo s’en moque et délivre sa propre leçon de droit.

L’absence de rigueur, d’objectivité, de prudence, bref l’enquête partielle et partiale comme la leçon de droit biaisée, assénée par Mediapart et France Inter, ne vont-elles pas rejaillir longtemps sur eux et, malheureusement, sur la presse française?

La mise en scène par France Inter de son scoop de bric et de broc en atteste: un témoignage toutes les demi-heures durant une matinée… Est-ce cela que le citoyen attend du service public, des épisodes d’un feuilleton écrit, ou plutôt réécrit, par un scénariste détenteur d’une carte de presse? Tandis que l’autre média, dans une croisade folle, se revendique de l’état de droit et le piétine à la page suivante.

Un mot aussi de la fameuse prescription: les politiques doivent-ils être plus vertueux que la loi? Admettons un instant que oui: la prescription nous pose alors problème puisqu’elle peut autoriser la justice à classer sans plus de recherches.

Voici donc un justiciable, Denis Baupin, forcé de rapporter la preuve de son innocence et de demander qu’on enquête et qualifie en droit des faits prescrits, afin de rétablir son honneur que les poursuites en diffamation viendront à peine, dans un temps long, réhabiliter.

En dépit de la prescription, trois plaintes, sans preuves, sans les SMS de la seule période non prescrite, sont arrivées enfin ces jours-ci. Une demande de condamnation pour dénonciation calomnieuse les attendra sans doute au bout du chemin. Car non seulement, ces actes sont inexacts, et donc improuvables, en plus d’être prescrits.

Bien sûr, viendra le temps, lointain sans doute, des ordonnances de non-lieux, des abandons de poursuite, des condamnations pour diffamation ou dénonciation calomnieuse. Nous serons alors face à une actualité qui dira, en bas de page, que Denis Baupin est innocent.

Et le mal sera fait. Par la presse, en dépit du droit.

Le « quatrième » pouvoir ne doit pas s’affranchir des règles de droit. Sauf à se nourrir de la rumeur et du ragot, à servir aux règlements de compte politiques. La presse s’est faite juge, comme il y a encore peu, avec Dominique Baudis. Ce n’est pas sa fonction. Et quand elle fait, elle doit, a minima, revenir à la prudence et au contradictoire.

Il faut laisser la justice tenir son rôle, faire son œuvre, son travail. Ce pour quoi elle reste un pouvoir essentiel, certes faillible, mais qui n’écarte pas impunément le contradictoire et la charge de la preuve.

J’aime tant Zola que je vous le dis à tous: je n’accuse pas, je défends. Et je suis bien peiné de devoir le faire d’abord ici plutôt qu’à la barre.


Emmanuel Pierrat; avocat au Barreau de Paris, avocat de Denis Baupin

Retrouvez la tribune dans le Huffington Post

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Tags: , ,



Comments are closed.

Retour en haut ↑
  • A qui doute de mon innocence

    Justice
  • Photothèque

    Photothèque

  • Bibliographie

    Mes livres

  • Sur LinkedIn


  • Sur Twitter