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Publié le 7 août, 2009

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Libération : Contre Allègre, une écologie qui émancipe – Tribune de Denis Baupin

Fidèle à la stratégie de son nouveau maître – Nicolas Sarkozy -, Claude Allègre prétend, en s’appropriant indûment l’identité de ceux qu’il veut combattre – les écologistes -, se parer lui-même des habits de l’écologie, avec la création prochaine de sa Fondation pour l’écologie productive (Libération du 17 juillet).

Venant d’un des principaux négationnistes du dérèglement climatique, y compris au prix du tripatouillage de travaux scientifiques, le propos pourrait faire sourire. Mais on aurait tort de se contenter de ce premier réflexe.

Claude Allègre n’est que la figure la plus caricaturale d’une entreprise plus globale visant à se réapproprier le succès des écologistes pour mieux le dénaturer. Cette entreprise utilise deux artifices.
Le premier est un grand classique faire passer les écologistes pour des passéistes, des opposants au progrès, etc. Refrain connu chez les productivistes et les scientistes de droite et de gauche, depuis Robert Hue, qui refusait le retour à «la lampe à pétrole», à Martine Aubry, qui ne veut pas s’intéresser «aux radis», en passant par Luc Ferry, dont l’ouvrage le Nouvel Ordre écologique disait le mépris d’une certaine classe intellectuelle pour qui ne partageait pas sa vision du progrès humain.
Le second, plus nouveau, est devenu un passage obligé pour tout politique en panne de discours : repeindre en vert les politiques les plus productivistes et polluantes, afin de leur donner une nouvelle légitimité.

En la matière, Claude Allègre ne craint personne. Après avoir été le héraut du lobby de l’amiante (qui continue de tuer chaque année plusieurs milliers de personnes), le voici en porteur de valise du nucléaire, des organismes génétiquement modifiés (OGM), voire du stockage de carbone comme réponse au dérèglement climatique.
Il y a pourtant un point sur lequel on peut être d’accord avec Claude Allègre : oui, l’écologie peut être productive, innovante, source de progrès pour l’humanité, créatrice d’emplois et aussi – même si cela l’intéresse sans doute moins – de justice sociale. Mais pour cela, pour être résolument moderne – car nous revendiquons la modernité l’écologie n’a pas besoin d’épouser une fuite en avant technoscientiste promue au rang d’idéologie. Notre écologie s’appuie sur l’innovation et les technologies modernes, mais en privilégiant celles qui accroissent l’autonomie des gens, qui émancipent au lieu d’asservir.

Reprenons les exemples de l’énergie, des OGM et du stockage de carbone pour en faire la démonstration.
Pour la production énergétique, peu importe à Claude Allègre que le nucléaire dit de quatrième génération supposé recycler ses propres déchets – ne soit qu’une chimère dont les seuls exemples, à commencer par Superphénix, furent des échecs retentissants, si cela lui permet de justifier la fuite en avant franco-française dans l’industrie énergétique la plus dangereuse (par ses déchets, ses accidents et la prolifération qui lui est liée) et la plus coûteuse …
Comme vient de le confirmer le PDG d’EDF en exigeant des accroissements de tarifs dont Henri Guaino (conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, ndlr) lui-même révèle qu’ils sont liés aux investissements douteux de l’entreprise à l’étranger.

Pourtant, on peut produire l’énergie dont nous avons besoin de façon sûre, stable, durable et économe des deniers publics, et ce d’autant plus si on mène parallèlement une politique d’efficacité énergétique évoquée plus loin. Il existe de gigantesques potentiels technologiques pour remplacer les vieilles énergies fossiles, centralisées, polluantes et non renouvelables. Mais cela nécessite de se décider enfin – comme l’a compris le reste du monde, Obama en tête – à investir dans l’énergie du soleil, du vent, des mers et des océans, des fleuves, de la géothermie ou de la biomasse. Pas besoin pour cela de faire péter l’atome et de léguer à des centaines de générations les dégâts de notre égoïsme.

Ces nouvelles ressources énergétiques sont bonnes pour l’environnement et bonnes pour l’économie car elles créent des dizaines de milliers d’emplois non délocalisables (quinze fois plus que dans le nucléaire). Elles sont aussi bien plus justes socialement, car elles réduisent la vulnérabilité énergétique des ménages, notamment des précaires énergétiques, face aux cours erratiques des énergies fossiles et au prix exorbitant du chauffage électrique.

En matière d’utilisations des OGM, Allègre fait les mêmes raccourcis, les mêmes approximations. Qu’il dénonce les conséquences de l’industrie agrochimique sur l’environnement et la santé est une innovation à saluer. On n’a pas fini de dénombrer les ravages des pesticides et autres phytotoxiques sur la qualité des aliments et de l’eau, sur la biodiversité mais aussi sur la prolifération de nombre de maladies.
Mais, présenter l’utilisation des OGM par les agriculteurs comme la solution, alors que les OGM sont eux-mêmes producteurs de pesticides ou conçus pour stocker plus de pesticides encore, relève de la supercherie. Le fait qu’ils soient produits par des multinationales qui n’ont eu de cesse de répandre leur chimie dans l’agriculture et de lier les agriculteurs par leurs technologies et leurs licences, suffit pour comprendre que ce n’est pas là que se trouve l’avenir de l’agriculture et des agriculteurs.

On peut produire une alimentation saine, durable, mais aussi adaptée à nos usages alimentaires du XXle siècle pour peu qu’on développe de véritables filières biologiques, d’autant plus durables qu’on y favorisera les circuits courts, accroissant l’autonomie alimentaire des territoires, réduisant leur vulnérabilité aux prix de l’énergie (indispensable au transport des denrées si on les importe). Et cette réponse est bien à l’échelle du problème: comme l’a déclaré la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), l’agriculture bio pourrait nourrir l’humanité. Là encore, le gisement d’emplois non délocalisables est gigantesque (l’agriculture chimique et intensive a détruit 90 % de ses emplois agricoles en cinquante ans) et l’enjeu de garantir une alimentation saine à tous – et non seulement à quelques privilégiés est une conquête sociale majeure.

Enfin, un mot sur le stockage du carbone en couches géologiques profondes, activité encore au stade de la recherche. Sans doute cette technologie sera-t-elle utile pour limiter les ravages du dérèglement climatique, mais uniquement à titre de complément en phase de transition vers une indispensable cure de sobriété énergétique. Laisser croire que mettre au point le stockage du carbone serait la panacée pour stopper le dérèglement climatique, voila qui serait du registre de l’incantatoire, voire du crime contre l’humanité.
Oui, réduire les émissions de gaz à effet de serre – mais aussi limiter notre vulnérabilité aux impacts futurs d’un dérèglement climatique dorénavant irréversible – implique une écologie qui soit source d’innovations majeures. En matière d’isolation thern1ique des bâtiments, de mobilité, d’éclairage public, de réseaux de transport d’énergie, d’appareils électroménagers économes … le potentiel est considérable. Et n’hésitons pas à dire qu’il nécessitera des reconversions industrielles majeures, à commencer par le secteur de l’automobile, victime de l’imprévoyance de dirigeants incapables de s’adapter à l’épuisement pétrolier à venir.

Mais ne nous laissons pas leurrer par les nouveaux convertis, dont la fragilité des convictions se mesure à leur empressement à rebaptiser l’écologie par l’oxymoron «croissance verte» : ces potentiels technologiques ne permettront de nous en sortir qu’à condition de s’inscrire dans une logique inéluctable de décroissance – n’ayons pas peur du mot – rapide de notre empreinte écologique. Faute de choisir, aujourd’hui, la sobriété anticipée et organisée s’imposerait à coup sûr, demain, la pénurie subie et forcément injuste.

Oui, Claude Allègre a raison : il y a bien deux visions différentes de l’écologie. L’une, malgré les alertes alarmistes des scientifiques du climat et de la planète, prétend, sous couvert d’écologie, qu’il suffit de croire aveuglément aux avancées technologiques portées par quelques scientistes financés par les lobbys pour tout résoudre.

L’autre préconise une approche lucide, laïque vis-à-vis du scientisme technologique, mais résolument émancipatrice, humaniste et optimiste parce que faisant confiance aux êtres humains – et pas qu’à quelques-uns pour trouver démocratiquement la voie d’une civilisation écologique, sobre, juste et donc éminemment moderne.

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