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Publié le 21 octobre, 2011

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Journée la plus importante du voyage : celle à Fukushima.

Marquée par 2 fils rouges : la crédibilité des mesures d’une part, l’obsession de la contamination de l’alimentation d’autre part.

Après 2 heures de voyage en train, arrivée à la gare de Fukushima. Déjà, pendant les dernières minutes du voyage, le compteur geiger commence à s’agiter. Nous nous répartissons les dosimètres qui nous permettront au retour, via l’IRSN de mesurer l’exposition de chacun d’entre nous. La surprise est que cette ville de 300 000 habitants (l’équivalent d’une grosse ville moyenne en France) semble vivre totalement normalement : activités économiques, commerces, passants. La radioactivité semble sans impact… mais elle n’est qu’invisible. Sur le parvis même de la gare, on mesure selon les endroits une radioactivité de 10 à 20 fois supérieure à la normale, et même 40 fois supérieure dans un petit morceau de pelouse en pied d’arbre ! Le poison est bien là, partout présent, mais la vie semble vouloir suivre son cours tant bien que mal.

Première étape : la visite du CRMS, le centre indépendant de mesure, l’équivalent de la CRIIRAD locale qui tente de faire pièce à l’omerta locale.

Deuxième étape : rencontre avec le sous-préfet de Fukushima, qui, sous un langage diplomatique, reconnaît que la situation n’est toujours pas maîtrisée. Mais il cherche aussi à faire passer le message que pour la survie économique de la Région il faut que ses produits puissent se vendre à l’extérieur, notamment ses produits alimentaires, pour peu que les tests de contamination se révèlent négatifs… du moins en deça de la norme très élevée de 500 béquerels / kilo.

Et c’est bien la question lancinante présente tout au long de ce voyage : que faire de la production agricole d’une région qui, il n’y a pas si longtemps, était encore l’un des greniers du Japon ? Dans la coopérative que nous visitons, on teste des échantillons des aliments vendus pour vérifier qu’ils ne sont « pas contaminés » et qu’ils sont bios par ailleurs. Et l’agriculteur bio que nous rencontrons ensuite nous explique ses efforts pour continuer de produire une alimentation la moins contaminée possible. Nous sommes à 50 km de la centrale, dans une région plutôt épargnée par le nuage radioactif du fait de la montagne, et pourtant la radioactivité y est nettement mesurable.

Faut-il consommer ces produits malgré la radioactivité, et donc prendre des risques pour la santé des consommateurs ? Ou faut-il les retirer de la consommation et vouer à la faillite les agriculteurs de la Région et donc sa principale activité économique ? Dilemme intenable ! Après la catastrophe nucléaire, il n’y a plus que des mauvais choix !

C’est ce que nous confirme la poignante réunion avec l’association des mères (et un père) de Fukushima. Pendant près d’une heure trente, nous discutons. Et, surtout, nous écoutons les témoignages si tristes, et pourtant empreints de tant de dignité, de ces parents qui tentent tant bien que mal de sauver les enfants de Fukushima… Ils privilégient une alimentation qu’ils vont chercher à plusieurs dizaines de kilomètres, en dehors de la Région (soulignant qu’ils ne font pas confiance aux aliments même certifiés non contaminés provenant de la Région, tant la méfiance est maintenant la règle vis-à-vis des autorités). Plusieurs parents témoignent s’être même séparés de leurs propres enfants, envoyés au loin et pour une durée inconnue. Et malgré la dignité, toujours présente, on entend le déchirement vécu. Pour les autres, qui les ont conservés avec eux, l’inquiétude et la détresse sont omniprésentes. L’une notamment évoque la puberté de sa petite-fille au moment de la catastrophe, et les conséquences possibles pour son développement, et sa capacité future à pouvoir enfanter… Tous, en tous cas, racontent leurs efforts pour aider les autres enfants de la région : pour les éloigner du danger, au moins pendant quelques mois. Même si toute comparaison en la matière est difficile, je ne peux m’empêcher de penser aux « Justes » qui, pendant la dernière guerre mondiale, tentaient d’épargner le maximum d’enfants juifs en les éloignant de la zone occupée ou en les cachant… Eux aussi, à Fukushima, font preuve d’une force de caractère, d’un grand sens de solidarité et de courage, face à des pouvoirs publics qui entravent leurs efforts, tant ils tiennent à faire croire à un retour à la normale.

Tous soulignent l’attitude insupportable des autorités, l’absence d’information au lendemain des explosions, voire même le refus de toute évacuation, alors même qu’une habitante avait mesuré une radioactivité supérieure à 100 microsieverts/heure dans sa propre maison, niée par les autorités, mais confirmée quelques semaines plus tard par la CRIIRAD qui lui conseillera d’évacuer immédiatement. D’autres soulignent les refus de reporter la rentrée des classes (en avril) pour éviter aux enfants de sortir et d’être exposés aux radiations. Idem pour la demande d’éviter les activités sportives en plein air. D’autres encore, racontent les pastilles d’iode conservées dans les mairies, que la Préfecture a refusé de faire distribuer suite à la catastrophe… Ils attirent notre attention sur la propagande en cours sur la baisse de la radioactivité : elle est semble-t-il réelle à 1 mètre du sol. Mais ce n’est que parce que celle-ci est rabattue vers le sol : à 0,5 mètres, comme au niveau du sol, elle continue de croître… au niveau où vivent et jouent les enfants.

L’angoisse nous étreint tous. Et même si nous nous prêtons de bonne grâce à la photo de famille, c’est le cœur noué et avec le sentiment d’une profonde révolte, d’une responsabilité plus forte encore d’aller raconter partout ce qui se passe à Fukushima, et l’envie de crier à tous ceux qui, en France notamment, proposent avec légèreté de poursuivre dans la voie du nucléaire, qu’ils viennent ici, à Fukushima, voir quelles en sont les vraies conséquences, et ensuite seulement d’en parler avec sérieux et responsabilité.

Denis Baupin

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