Publié le 25 mai, 2009
0De retour de Séoul : les villes contre le dérèglement climatique
Les 19 et 20 mai, j’ai participé, au nom de Paris, à la réunion biannuelle du C40, l’alliance des 40 plus grandes villes de la planète contre le dérèglement climatique. Après New York, il y a deux ans, et avant Sao Paulo en 2011, elle se tenait cette fois à Séoul.
Le moins que je puisse en dire est que j’en reviens avec des sentiments forts, mais contrastés. (CR en anglais disponible sur le site américain World Streets de Eric Britton)
Un mouvement en marche…
Tout d’abord, et c’est le plus important, cette réunion a fait la preuve que, pas à pas, quelque chose est en train de se passer : une prise de conscience réelle et sérieuse. Prise de conscience des risques considérables que le dérèglement climatique fait peser sur la planète et l’humanité, prise de conscience de l’urgence à agir, prise de conscience de notre responsabilité, nous, notre génération, pour tenter d’enrayer le processus.
Entendre les maires de Toronto (Président du C40), de Londres, de Sao Paulo, de Séoul, de Copenhague, de Sydney, de Rotterdam, le gouverneur de Tokyo, les représentants de Berlin, Milan, Varsovie, Karachi, New Delhi, New York, Los Angeles, Addis Abeba, Johannesburg, Lagos, Stockholm, Melbourne et Paris, mais aussi Bill Clinton (dont la Fondation appuie financièrement le C40) dire les uns après les autres à quel point le dérèglement climatique leur importe, décliner leurs projets, rivaliser d’arguments et de volontarisme, a parfois un côté un peu lancinant et rébarbatif. Mais cela exprime malgré tout une évolution majeure des discours et des priorités affichées. Pour nous écologistes, qui avons longtemps été seuls à prêcher dans le désert sur ces questions, c’est indéniablement un pas important qui a été franchi.
Et ce d’autant plus que, réunion après réunion, une communauté humaine s’est constituée : pour tous ces élus, techniciens et associatifs, tous à la fibre plus ou moins militante, engagés dans ce combat, chaque rencontre est non seulement l’occasion d’échanger sur nos projets, sur la meilleure façon d’agir, mais aussi de participer à une aventure humaine incroyable – quelque chose qui nous dépasse -. De tous les continents viennent des personnes d’origines, de cultures, de religions différentes, mais qui partagent toutes le sentiment de vivre quelque chose d’exceptionnel, face à un défi hors norme : c’est la première fois que l’humanité doit gérer une épreuve qui touche tous les terriens.
Au-delà de cette prise de conscience commune, la seconde utilité majeure de cette rencontre est l’échange d’expériences. J’étais pour ma part amené à plancher, sur la base du travail effectué à Paris, sur les politiques de mobilité d’une part et sur les énergies renouvelables en ville d’autre part. Quelle satisfaction de voir combien l’ampleur du travail accompli est reconnu par ses pairs, qui eux-mêmes s’affrontent aux mêmes contraintes politiques et techniques, mais aussi d’échanger sur les bonnes idées, les expériences menées, les innovations (que de questions sur Vélib !)… Quel plaisir aussi – je ne résiste pas à le mentionner – de voir le vice-gouverneur de Tokyo présenter fièrement une plaquette de prototypes de mini-hydroliennes urbaines et de mini-éoliennes, sur la base des mêmes intuitions que nous avons à Paris des potentiels énergétiques sous-exploités, démontrant qu’à Paris comme à Tokyo, on cherche sur les mêmes pistes.
Durant ces deux jours, il n’y avait pas moins de 16 ateliers. Je n’ai évidemment pas pu assister à tous, mais de toute part, la qualité des échanges était au rendez-vous, les progrès perceptibles, année après année. Un exemple parmi d’autres de coopération entre villes que je trouve particulièrement emblématique car portant sur l’une des plus graves menaces à venir : en octobre 2008 nous avions tenu une rencontre à Tokyo sur « l’adaptation » des villes aux conséquences du dérèglement climatique, c’est-à-dire comment faire en sorte que les dégâts soient les moins graves possibles puisqu’on sait qu’il y aura de toutes façons un début de dérèglement climatique. Depuis s’est mis en place un réseau des « villes-deltas » animé par Rotterdam, tant ces villes vont être amenées en tout état de cause à répondre à des problèmes similaires d’une ampleur considérable.
Le troisième point fort de cette rencontre a été la montée en puissance d’un véritable lobby des villes vis-à-vis des Etats. Pour le C40, comme pour d’autres réseaux de villes et de territoires aujourd’hui coalisés, l’objectif est non seulement que la conférence des Etats à Copenhague débouche sur un succès (c’est-à-dire un accord sur les suites de Kyoto) mais qu’y soit également reconnu la part que les villes auront à jouer dans l’application de cet accord. Objectif résumé par trois mots « Engage, Empower, Ressource » : des engagements clairs et chiffrés avec un calendrier ; des pouvoirs et compétences supplémentaires confiés aux villes qui s’engagent pour le climat en matière de réglementation (d’urbanisme, de logement, de transport, etc. permettant de lever des obstacles à l’action) ; des ressources contribuant à financer les villes qui agissent pour le climat (fiscalité sur le CO2, un partage des revenus des ventes aux enchères des quotas de CO2, etc.). Clairement les villes revendiquent de prendre leur part de l’effort, à condition que les Etats « ne se mettent pas dans leur chemin » et au contraire facilitent leur action. C’est en fait la généralisation au niveau planétaire de ce que des Etats et villes américaines ont engagé pendant l’ère Bush : agir, ouvrir la voie sans attendre l’Etat fédéral et contribuer ainsi à sa transformation.
Cette « politisation » des villes sur le terrain des Etats qui n’était pas gagnée d’avance, est aujourd’hui un acquis. Et j’aurais l’occasion du 2 au 4 juin prochains d’aggraver encore mon bilan carbone en allant à Copenhague pour une rencontre des villes pour finaliser leurs revendications quelques jours avant de les porter à Bonn où se tiendra l’une des dernières réunions des Etats, préparatoire au sommet de décembre. Surtout, au-delà des revendications, c’est finalement une diplomatie internationale des villes qui est en train de se mettre en place, une sorte de contre-pouvoir des Etats, capable de peser en cas de carence de ces derniers, pour leur forcer la main. Ne serait-ce que parce qu’au niveau des villes, nous sommes bien placés pour savoir qu’il ne suffit pas de voter des textes et d’édicter des lois ; le plus souvent, l’essentiel est dans la mise en œuvre.
… mais aussi de grosses faiblesses
Pour autant, malgré ce bilan très largement positif, je ne peux laisser sous silence des craintes quant aux faiblesses de cette conférence.
La première faiblesse, – et la plus importante- porte sur le poids des mesures prises. Que pèsent tous ces projets d’isolation thermique, d’éco-quartiers, de traitement des déchets, de transports collectifs, de renouvelables, de mobilités douces, d’éclairages plus économes, etc. face aux logiques lourdes d’un mode de développement et de production encore très loin de s’inverser ? Comment ne pas y penser dans une ville comme Séoul où l’automobile est reine, où les autoroutes pullulent, les tours grimpent, et les cheminées d’usines (en banlieue) sont bien plus visibles et nombreuses que les panneaux photovoltaïques ? Derrière ces discours volontaristes, quels moyens sont réellement mis en œuvre ? Quelles ambiguïtés se cachent derrière les termes de « développement soutenable », « d’énergie propre » et de « croissante verte » répétés par les nouveaux convertis, jusqu’à en avoir la nausée ?
Moi-même qui représente Paris, et qui défends devant mes collègues les projets que je porte avec volontarisme, je ne peux m’empêcher de m’interroger : aurais-je vraiment les moyens de les mettre en œuvre ? La volonté politique (pas la mienne, mais celle de la municipalité) sera-t-elle vraiment au rendez-vous ? Comment s’inscrira-t-elle dans le temps, quand on voit comment la politique de mobilité s’est tout à coup affadie, quand on voit surgir les projets de tours, d’équipements énergivores et peu utiles (stades, etc.) aux dépens d’investissement plus urgents ? D’autant plus convaincu de l’importance de la volonté politique pour avancer que j’ai pu en mesurer l’efficacité, je me convaincs qu’un mouvement est malgré tout engagé et qu’il est inéluctable, ne serait-ce que parce que les contraintes écologiques s’imposeront. Les villes ne peuvent agir qu’au rythme des compétences et des moyens qu’elles ont. Tout chemin commence par de petits premiers pas qui, certes, peuvent paraître hésitants, mais au moins indiquent la direction à prendre.
Mais le problème, avec le dérèglement climatique, comme cela fut fortement souligné lors des conclusions de ces deux jours, c’est que le temps joue inéluctablement contre nous. Chaque jour qui passe sans changement, c’est autant de tonnes de CO2, de méthane, etc. parties dans l’atmosphère de façon irréversible. La lourdeur de nos procédures, l’inefficacité des prises de décision, au niveau des Etats mais aussi des villes, nous risquons de les payer durement.
La seconde faiblesse touche, pour les villes comme pour les Etats, au profond décalage entre Nord et Sud. Même si le C40 comprend 20 villes du nord et 20 du sud, force est de constater que dans les prises de parole, dans l’organisation même de la conférence (y compris la capacité à se rendre à Séoul). Les plus pauvres sont les plus mal servis, alors qu’ils sont les moins responsables du dérèglement climatique et probablement les plus importantes victimes. Pauvre parmi les pauvres, le continent africain, certes représenté par certaines de ses grandes villes, a ainsi vu sa parole fortement minorée. L’enjeu est pourtant crucial : la conférence de Copenhague risque bien de buter cette fois brutalement sur le refus du sud de la planète (dont l’empreinte écologique par habitant est inférieure à 1) de prendre des engagements si le nord ne reconnaît pas sa lourde responsabilité et n’accepte pas de mieux partager, notamment pour aider les pays du sud à s’adapter aux conséquences du dérèglement climatique. Je suis donc intervenu en ce sens pour que le message que les villes porteront auprès des Etats manifeste cette volonté de solidarité nord-sud.
Ce ne fut pas ma plus lourde tâche. Car un troisième point m’est apparu tout aussi inquiétant, portant sur la place du nucléaire, évoqué à plusieurs reprises par des intervenants, et notamment le gouvernement de Séoul, comme une des « énergies propres ». Il est toujours pénible, dans une assemblée consensuelle, où chacun tente de mettre en évidence les avancées communes, d’apparaître comme le vilain petit canard qui rompt l’unanimisme, même s’il est partiellement artificiel. J’avais déjà dû le faire lors de la réunion de Tokyo quand, pour prévenir les conséquences du dérèglement climatique sur l’agriculture et l’alimentation, des chercheurs japonais préconisés l’utilisation massive d’OGM. J’avais perçu alors dans l’assemblée des regards soulagés que la contradiction ait été apportée. Le scénario fut à peu près le même quand j’ai fait part de mon désaccord pour qu’on puisse classer dans cette enceinte le nucléaire parmi les énergies propres. De la part des quelques Verts présents représentant leurs propres villes, des sourires entendus, ce n’était pas une surprise. Mais aussi nombre de témoignages par la suite me remerciant d’avoir fait cette intervention, ajoutant pour l’un d’entre eux « Surtout venant du seul Français dans la salle » ! La chose m’avait jusque-là échappé : que ce soit le seul représentant du pays le plus nucléarisé du monde qui fasse cette remarque ne lui donnait que plus de poids.
Pour autant, l’alerte est bien présente. Ce n’est pas une découverte. Mais y compris dans de tels rassemblements où les idées écologistes sont de mieux en mieux prises en compte, la vigilance face au « nucléaire contre l’effet de serre » reste de mise.
S’appuyer sur les acquis pour continuer d’avancer
En guise de conclusion très provisoire, je reste pour autant convaincu que l’évolution à laquelle nous assistons ces dernières années est historique. L’avenir dira si elle sera suffisante pour avoir un impact réellement significatif. Rien ne permet aujourd’hui de relâcher la vigilance ; surtout pas les rapports des scientifiques qui décrivent une situation toujours plus alarmante ; ni la menace du retour au gouvernement français de Claude Allègre, le plus célèbre négationniste du dérèglement climatique (après Bush, mais de celui-là on est débarrassé).
Raison de plus pour poursuivre notre action, ne pas faire la fine bouche sur les acquis, et s’appuyer sur cette prise de conscience planétaire pour accélérer le mouvement. Les six mois qui viennent seront cruciaux : de la mobilisation des peuples du monde, des corps sociaux, des collectivités, de leur pression sur les gouvernements dépendra le résultat de la négociation de Copenhague. L’enjeu est clair : il faut que d’ici 2020 les pays industrialisés réduisent de 40% leurs émissions, et que 100 milliards d’euros par an soient dégagés pour aider les pays du Sud… soit moins de 10% des dépenses militaires mondiales ! Si Copenhague est un échec, les conséquences sur l’évolution du climat dans les années qui viennent, pourraient bien être dramatiques et se compter en centaines de millions de victimes des catastrophes, personnes déplacées et réfugiées. Si Copenhague, au contraire, se conclut sur un succès, sur une capacité de l’humanité à réguler ses gaz à effet de serre, le pire sera peut-être évité. Et sur la base de cette capacité à adopter des compromis planétaires, d’autres grandes négociations pourront peut-être être engagées sur la biodiversité, le partage des matières premières dont les réserves s’épuisent et sur un échange plus équitable. Une utopie ? Peut-être. Mais il dépend de chacun de nous de ne pas rater cette occasion historique.
Denis Baupin, le 21 mai 2009