Publié le 8 juillet, 2008
0Conseil de Paris-Juillet 2008 : intervention dans le débat sur les tours
Monsieur le Maire,
Au delà des apparences, notre débat d’aujourd’hui dépasse largement la simple question des tours. Ce qui est en jeu, c’est notre vision pour cette ville, son « visage » avez-vous dit, c’est ce que nous souhaitons pour l’évolution de Paris.
C’est un débat éminemment politique, au sens noble du terme.
Et d’ailleurs l’objet de la délibération qui nous est proposée porte sur une question bien plus globale, une question passionnante : celle de l’évolution du paysage parisien. Et je veux le dire ici sans ambiguïtés : nous sommes d’accord ! Nous aussi estimons que Paris ne doit pas être figé. Nous aussi estimons que son paysage mérite d’évoluer.
Mais quel dommage qu’au moment même où on se propose de lancer un débat aussi passionnant, on le restreigne immédiatement à un sujet aussi peu intéressant que celui de la hauteur. Qui plus est, à un sujet aussi peu attendu par nos concitoyens, eux qui rappellent d’ailleurs régulièrement qu’ils y sont majoritairement hostiles.
Au lieu de restreindre le débat, proposons leur plutôt de débattre vraiment de toutes les évolutions possibles du paysage parisien. Et tout particulièrement de celles qui sont globalement plébiscitées par nos concitoyens, celles qui répondent non seulement à leurs aspirations, mais aussi aux besoins d’une ville du 21ème siècle ; c’est-à-dire une ville qui soit en capacité de répondre aux enjeux de la crise écologique et énergétique ; pour le dire simplement, une ville post-pétrole.
Nous sommes à un aiguillage. Nous avons aujourd’hui le choix. Et ce choix, je crois, est un choix structurant, un choix de civilisation. Et il se pose à un moment important de l’évolution de nos sociétés occidentales, au moment ou tous les clignotants de la crise écologique, de la crise alimentaire, de la crise économique, sont en train de passer au rouge vif.
Une option, c’est de décider de poursuivre la fuite en avant, le toujours plus vite, toujours plus haut, toujours plus loin, toujours plus stressé ; une espèce de tentative millénaire de s’affranchir des contraintes naturelles, y compris de la gravité ; l’enfermement dans une symbolique de puissance et de compétition pour attirer les multinationales. Et dans ce cas, il est logique de faire des tours ; ces gratte-ciels qui sont à l’architecture ce que les 4×4 sont à l’automobile : des jolis jouets tape à l’œil, symboles de domination et de puissance, mais tellement inadaptés à nos réels besoins.
Car, précisons bien que ce dont on parle ici, c’est bien de tours. S’il ne s’agissait que de faire deux ou trois exceptions pour quelques dizaines de logements sociaux – et j’insiste sur « sociaux » – un peu au dessus de 37m, il n’y aurait pas besoin d’organiser un tel débat. Et nous avons déjà dit que si c’est ponctuel et pour du logement social, on n’y serait pas automatiquement favorable mais pas forcément opposés. On n’a pas le fétichisme du chiffre 37.
Soit, au contraire, on choisit de privilégier la qualité de vie des habitants et de faire la ville qui va avec.
Et je veux le souligner ici : ce n’est pas incompatible avec le rayonnement de la capitale ! Au contraire ! J’ai déjà eu l’occasion de le dire à de nombreuses reprises : Paris-plage et Vélib ont fait bien plus pour le rayonnement de Paris que ne le fera jamais aucune tour… à part la tour Eiffel !
Et il y a une raison simple à ce rayonnement : c’est que là, vraiment, il y a innovation. C’est que là vraiment, on va dans le sens de l’histoire, on répond au besoin de concilier vie en collectivité et qualité de vie, vie en collectivité et décroissance de notre empreinte écologique, vie en collectivité et services nouveaux, notamment pour les plus fragiles. Là, oui, on fait une ville plus humaine.
En ce sens, oui, nous partageons votre souhait que Paris rayonne, et pour cela que Paris soit exemplaire, exemplaire parce que visant l’excellence, l’excellence environnementale et sociale.
C’est dans cet esprit que j’ai déposé un amendement à la délibération. Puisque vous nous proposez de débattre du paysage de Paris, je vous propose 4 pistes alternatives qui nous permettraient de faire évoluer positivement notre paysage, bien plus qu’un urbanisme de tours et de barres.
Tout d’abord, puisque les architectes ont l’air de vouloir s’investir dans une architecture plus écologique – ce qui est une excellente nouvelle – invitons les à consacrer leur sens de l’innovation non pas à une architecture bling-bling, clinquante, gaspilleuse, mais plutôt à engager un grand plan de transformation de nos quartiers en éco-quartiers, réhabilitant le bâti existant, promouvant l’efficacité énergétique, privilégiant les énergies renouvelables, transformant des bureaux haussmanniens vides en logements sociaux.
Deuxième piste d’évolution de notre paysage : corrigeons les horreurs du passé ! Transformer les tours existantes en gestes architecturaux dont nous puissions être fiers, qui plus est en réduisant drastiquement leurs gaspillages énergétiques, voilà un véritable challenge, à la hauteur de l’imagination des architectes contemporains ! Mais il y a bien d’autres horreurs dans notre paysage quotidien qui mériteraient autant d’attention que les tours : le traitement des abords des infrastructures lourdes de transport, les faisceaux ferrés, les viaducs du métro, ou celui sur lequel l’Etat compte faire passer CDG Express à travers la porte de la Chapelle ; sans oublier bien sûr le paysage brutal et déshumanisé du périphérique, ainsi que cette autoroute urbaine qui défigure les berges de la Seine, et qui pourrait être transformée en coulée verte à l’image de ce qu’a fait la ville de Lyon. Voilà des paysages urgents à humaniser.
Troisième piste : l’évolution de notre espace public. Je suis bien placé pour savoir que cet espace public a fortement évolué ces dernières années. Et parce qu’il fallait, mètre après mètre, reconquérir l’espace sur l’omniprésente automobile, afin de le donner aux transports collectifs et aux circulations douces, notamment aux piétons, mais sous la contrainte d’un code de la route tellement inadapté à nos villes, nous avons dû multiplier séparateurs, potelets, barrières, certes indispensables pour protéger les plus faibles, mais qui enlaidissent la ville. Vous le savez, je plaide pour un code de la rue. Mais il ne s’agit pas que d’un ensemble de règles. Je plaide pour un code esthétique de la rue. Voilà qui modifierait en douceur notre paysage. Voilà une piste intéressante pour ce grand débat.
Enfin, quatrième et dernière piste : la réalisation d’une véritable trame verte dans la ville : la préservation des espaces verts existant face au rouleau compresseur du bétonnage, la création de nouveaux espaces verts, la végétalisation des toits comme des murs y contribuent déjà, et il faut l’amplifier. Mais on peut aller plus loin, ce qui modifierait de façon bien plus douce notre paysage. Nous pouvons créer et valoriser de véritables corridors végétaux et de biodiversité : les bois, encore aujourd’hui lardés de véritables autoroutes, pourrait être reliés par une coulée verte le long de la Seine comme je l’ai déjà évoqué, la petite ceinture ferroviaire pourrait être mieux protégée, et la ceinture verte qui entoure notre ville pourrait être préservée plutôt que de la sacrifier au bétonnage par la création d’une barrière de tours et de barres.
Vous l’aurez noté, monsieur le Maire, nous ne manquons pas de propositions constructives qui vous prouvent que nous ne sommes pas des conservateurs, que nous ne voulons pas d’une ville musée.
En conclusion, je vous dirai donc que oui, monsieur le Maire, nous sommes d’accord pour que notre ville bouge. Mais nous voulons qu’elle bouge non pas vers le passé, mais vers l’avenir.