Publié le 21 novembre, 2011
0Comment les Verts ont imposé la fermeture de 24 réacteurs
18-11-11 Challenges.fr
Récit des négociations polémiques entre le PS et Europe Ecologie-Les Verts.
En mars dernier, c’était Fukushima. L’Allemagne décide de sortir du nucléaire d’ici à 2022. Un acte historique, fort, et un verrou qui saute. « Il y a eu une prise de conscience dans l’opinion publique, d’autant que l’Italie, la Suisse, la Belgique ont ensuite embrayé le pas à l’Allemagne », indique Denis Baupin, membre de l’exécutif d’EELV. « Pour les Verts, sortir du nucléaire est devenu un élément essentiel de la négociation avec le PS », indique Daniel Boy, directeur de recherche à Sciences Po. Dans cette logique, poursuivre l’EPR de Flamanville n’a pas de sens. S’il faut en finir avec l’atome, pourquoi en reprendre pour 40 ans, voire davantage avec une centrale de 3ème génération? C’est ce que martèle Eva Joly, candidate d’Europe Ecologie-Les Verts à l’élection présidentielle.
Pas de chance, François Hollande qui plaide pour la diminution de la part du nucléaire dans le mix électrique de 75% à 50% d’ici à 2025, est dans la posture inverse. Il veut terminer Flamanville qui a déjà coûté plus de 3 milliards d’euros et qui est une vitrine pour l’exportation. Une position qui lui vaut les félicitations de Jean-Pierre Chevènement. « En restant ferme, (Hollande) acquiert quelque chose qui le rapproche d’une stature de présidentiable », dit le Che. Mais avec ces deux positions inconciliables, comment négocier? Réponse en deux temps. Ce sera d’abord l’octroi de « bonnes » circonscriptions aux Verts, par exemple la 6ème de Paris pour Cécile Duflot, pour leur permettre de constituer un groupe parlementaire à l’Assemblée (15 députés). Puis, l’accord du jeudi 17 novembre, sur la fermeture de 24 réacteurs sur 58 et la reconversion de la filière du retraitement, le MOX. « Le premier point, c’est le PS qui l’a proposé, indique Denis Baupin. Le second, c’est nous. Comme Flamanville n’était pas négociable, il nous fallait un ‘élément de progression’. Ce fut le MOX. »
Douche froide chez EDF et Areva
Chez EDF et Areva, c’est la douche froide. Les propositions du candidat socialiste, les deux groupes les avaient intégrées. Et peu ou prou acceptées. Mais ils ne pensaient pas qu’elles aboutiraient à ces conséquences. EDF réagit à chaud et affirme que cette décision aurait un impact sur… 400.000 emplois directs, indirects et induits. Le PDG Henri Proglio est fou de rage. Quelques semaines plus tôt, il disait à Challenges qu’il était possible de passer à 50% de nucléaire, sans fermer de centrales. « Avec une croissance de la demande d’électricité de 2% par an, le tour est joué. » Des propos empreints, sans doute, d’une certaine forfanterie.
Cependant, faut-il fermer nécessairement 24 réacteurs pour passer à 50% de nucléaire? « Si les énergies renouvelables se développent selon le rythme annoncé, la part du nucléaire diminuera automatiquement, sans qu’on ait à fermer de centrales », estime Francis Sorin, rédacteur en chef de la Revue générale nucléaire. « On peut parvenir au seuil de 50% avec seulement une douzaine de réacteurs en moins, assure Nicolas Goldberg, consultant au cabinet Sia-Conseil. Pour cela, il faut jouer sur le levier de l’exportation. D’ores et déjà, on exporte beaucoup plus d’électricité vers l’Allemagne, depuis la fermeture de ses réacteurs. » Dans l’hypothèse des 24 fermetures, EDF perdrait 10 ans d’exploitation de ses réacteurs (43 ans de durée de vie moyenne au lieu de 53 ans programmés). Un coup dur pour l’électricien, dont le cours de Bourse est au plus bas. Car l’exploitation des centrales est un jackpot qui rapporte environ 200 millions par an. Sans les 24 réacteurs, le manque à gagner annuel pour EDF serait de près de 5 milliards d’euros! Comment le compenser? En augmentant les prix de l’électricité. « La hausse devait tourner autour de 30% au cours des 20 prochaines années, indique Robert Durdilly, président de l’Union française de l’électricité. Elle passerait à +50% dans le cas du scénario nucléaire à 50%. »
Le MOX, la bête noire des écologistes
Pour la reconversion de la filière MOX, c’est Areva qui est touché. Produit à partir de combustibles usés et employé dans 21 des 58 réacteurs, le MOX est une spécialité française. Au lieu d’enfouir les combustibles usés, on les réutilise dans un cycle fermé. Avec cette activité qui emploie plus de 6.000 salariés dans les usines de la Hague et Marcoule, le groupe nucléaire réalise un chiffre d’affaires de 1,1 milliard d’euros sur un total de 9 milliards. Mais le MOX est aussi la bête noire des écologistes. Car il contient du plutonium, plus radioactif que l’uranium. Et le fait qu’il soit utilisé dans un des réacteurs de Fukushima ne plaide pas en sa faveur. La semaine dernière, le MOX fut au centre des bisbilles entre le PS et les Verts. D’abord biffé du texte commun, il est finalement réapparu dans la version finale. Malgré les protestations des syndicats d’Areva et le lobbying intensif de la direction et même de son ancienne présidente, Anne Lauvergeon. Fini le MOX, fermés les 24 réacteurs d’EDF? Pas si vite. Pour cela, il faut d’abord que François Hollande soit élu, puis qu’il applique son programme. Or, en matière industrielle comme en politique, on le sait, les promesses n’engagent que ceux qui y croient.
Nicolas Stiel