Publié le 19 juin, 2008
0Grand Paris : pour une organisation fédérale de l’agglomération
Le mal développement de l’Ile-de-France est patent. C’est pour nous, écologistes, une évidence. Certes, au regard des statistiques classiques, elle se situe parmi les plus riches d’Europe.
Mais cette richesse se traduit par des nuisances écologiques globales (surconsommation énergétique, contribution au dérèglement climatique, etc.) et locales (pollutions, déchets, etc.) qui portent son empreinte écologique entre 3 et 4.
Et, parallèlement, la région est confrontée à une crise de croissance qui se traduit par une progression inquiétante des inégalités territoriales et sociales. Dégradation de la qualité du cadre de vie dans les quartiers les plus pauvres, taux de chômage plus élevé que la moyenne nationale dans l’Est parisien, déséquilibres économiques avec une concentration des bureaux et des emplois à l’Ouest…
Une feuille de route commune : le SDRIF
Autant de facteurs qui plaident pour une politique territoriale nouvelle dont le nouveau Schéma Directeur Régional d’Ile-de-France (SDRIF) constitue le fil directeur. Celui-ci, en liant exigence sociale, réorientation économique et transformation environnementale définit une vision stratégique pour un développement durable de la Région.
Le SDRIF est donc un instrument incontournable pour agir au cœur de l’ensemble des politiques publiques.
Pour autant, cette politique ambitieuse ne pourra être mise en œuvre sans une refonte des mécanismes institutionnels de l’Ile de France, lesquels se révèlent aujourd’hui inadaptés pour travailler à l’échelle plus concentrée et territorialisée. Dés lors, surgit inévitablement la question de la gouvernance.
L’avenir de l’agglomération centrale : un débat incontournable
Paris ne peut rester éternellement la seule grande ville de France qui ne s’inscrive pas dans une structure intercommunale. L’absence de structure d’arbitrage et de pilotage des grandes politiques structurantes pour le territoire à l’échelle de l’agglomération accroît le mal-développement et nous prive des outils permettant de réduire les dysfonctionnements, les gaspillages et les souffrances d’un grand nombre de nos concitoyens.
En relançant le débat sur le Grand Paris en mai 2007, Nicolas Sarkozy a mis le doigt où ça fait mal. Les soubassements tactiques de sa posture, à deux ans des élections régionales, sont évidents. Tout laisse à penser qu’il s’agit bien plus d’instrumentaliser le débat que de le mener à son terme, de le piloter de l’Elysée pour mieux affaiblir les acteurs locaux et exploiter leurs contradictions, mais de ne rien régler des véritables problèmes, surtout pas avant les échéances électorales.
Raison de plus pour bâtir nos propres propositions vertes et ne pas nous laisser instrumentaliser par les intérêts de telle ou telle collectivité, ou de tel ou tel territoire, et tenter plutôt de lever les contradictions inhérentes à la situation actuelle. Il faut donc nous saisir de cette opportunité pour définir un projet de gouvernance pour la Région et l’agglomération. Un projet qui devra être en cohérence avec notre réflexion autonome sur l’évolution de ces territoires et donc sur leur gouvernance.
Première priorité : donner du sens
A peine le débat entamé, les acteurs politiques traditionnels se sont précipités sur le Méccano institutionnel, chacun évaluant la part potentielle du gâteau qu’il pourrait conquérir ou préserver, au gré du redécoupage.
Telle n’est pas notre vision. Une nouvelle organisation institutionnelle ne peut se concevoir qu’au service d’une vision, d’un projet pour l’agglomération. Mettre l’organisation avant le projet se serait non seulement garantir l’échec, mais aussi accroître encore la fracture entre les élus et la population. La réorganisation institutionnelle ne pourra réussir que si elle est porteuse de sens pour nos concitoyens.
Le discours dominant sur l’utilité potentielle d’un « grand Paris » est en effet particulièrement inquiétant. Il s’agirait de donner à Paris les moyens de concourir plus efficacement dans la compétition supposée avec les autres grandes métropoles mondiales. Le seul projet qui tienne serait donc de s’inscrire plus encore dans la globalisation libérale, système économique où les collectivités proposent (des sièges au sommet de tours toujours plus hautes, des avantages fiscaux, etc.) et où les multinationales disposent ! Un mode de développement d’autant moins durable qu’il n’en est rendu que plus sensible – donc fragile – aux crises économiques, énergétiques et écologiques globales qui se multiplient et vont aller en s’aggravant.
A l’inverse, ce que préconise le Sdrif, et ce que doivent traduire nos projets institutionnels, c’est une robustesse renforcée de notre système économique, par une moindre dépendance et de plus fortes solidarités sociales et territoriales.
A ces présupposés, largement partagés à droite et à gauche, nous devons répondre par un projet global, allant dans le sens d’une alter-métropolisation centrée sur le développement durable.
Au premier rang des priorités se situent les transports. Face à des réseaux (routiers ou ferrés) au bord de l’apoplexie, la réorganisation des déplacements est une priorité : réalisation de Métrophérique – arc express, transformation du périphérique en boulevard urbain, mais aussi extension de Vélib au-delà du territoire parisien, etc. les projets ne manquent pas qui allient développement durable et dépassement des frontières physiques et psychologiques léguées par l’histoire.
Deuxième grand chantier, celui d’une fiscalité commune, condition indispensable d’un véritable partage des richesses, afin que les territoires de l’agglomération ne se vivent plus concurrents mais au contraire solidaires.
Aujourd’hui, deux dispositifs de péréquation destinés aux zones urbaines co-existent en Ile de France : la Dotation de Solidarité Urbaine et le Fonds de Solidarité des communes de la région d’Ile de France (FSRIF). Or, ces outils ne corrigent qu’à la marge les inégalités en matière de répartition des ressources financières. Il est donc nécessaire de réfléchir à de nouveaux mécanismes de solidarité fiscale en allant plus loin dans le système actuel de péréquation et de mutualisation. (développement du FSRIF, taxe professionnelle unique, partage des droits de mutation, création de nouvelles ressources…)
Troisième grand chantier : une organisation du territoire qui mette fin à l’apartheid urbain entre quartiers de bureaux et cités dortoirs. Le PLU (plan local d’urbanisme) de l’agglomération devra donner priorité absolue au rééquilibrage territorial, pour construire des logements là où les emplois sont aujourd’hui « excédentaires » (plus d’emplois que d’actifs), et favoriser les emplois là où ils sont aujourd’hui déficitaires. Outre une indispensable revitalisation des quartiers, ce rééquilibrage territorial diminuerait les migrations quotidiennes, source de gaspillages immenses et de stress et souffrance pour ceux qui les subissent. Car rééquilibrer les territoires n’est pas seulement un enjeu économique, est aussi un enjeu humaniste, démocratique et égalitaire.
Quatrième chantier : la relocalisation de l’économie, pour la rendre plus robuste face aux crises écologiques et énergétiques de demain. C’est pourquoi nous devons donner la priorité au développement des éco-filières, aux services à la personne, et favoriser les circuits courts, dans le domaine agricole par exemple, en privilégiant l’agriculture du bassin parisien. Ce chantier est aussi le gage de création d’une nouvelle solidarité, d’un nouveau partenariat ville – campagne.
Une gouvernance fédérale
Depuis longtemps, Les Verts se sont dotés de concepts directeurs quant au devenir des institutions. Ils s’appuient sur la volonté de prioriser les organisations de type fédéral, en appliquant le principe de subsidiarité. Ils nous ont conduit à estimer que, dans la multitude des structures institutionnelles, les niveaux à privilégier sont le niveau européen, le niveau régional, et le niveau intercommunal.
Ces principes directeurs peuvent parfaitement trouver leur application dans la définition d’une proposition originale concernant l’agglomération parisienne, qui permette à la fois une gouvernance plus efficace, sans créer un hyper-pouvoir centralisé qui viendrait déséquilibrer les autres instances.
Pour cela, on peut :
1) renforcer les pouvoirs de la Région en :
– engageant une nouvelle étape de décentralisation des compétences de l’Etat
– supprimant les départements (les 8 départements, et non les seuls 4 de l’agglomération) et en transférant les compétences à la Région chaque fois que c’est pertinent (ou à défaut aux intercommunalités s’il s’agit de compétences qui seraient mieux gérées au niveau local)
– redessinant éventuellement les frontières des régions françaises, afin d’en diminuer le nombre, et donc en créant une grande région « bassin parisien »
2) organiser l’agglomération de façon fédérale en s’appuyant sur le schéma parfois présenté sous le nom de « marguerite », mais en le complétant. Le polycentrisme s’y limite généralement aux seuls pétales constitués par les intercommunalités en étoile autour de Paris. Les écologistes, eux, savent que la marguerite a aussi un cœur, et qu’une marguerite c’est donc un ensemble composé du coeur et des pétales fonctionnant en symbiose ! C’est pourquoi il ne suffit pas de constituer de puissantes intercommunalités aux portes de Paris. Faisons de la marguerite une structure ad hoc originale, de coordination de ces entités, une fédération des intercommunalités de l’agglomération parisienne.
3) décentraliser les pouvoirs dans l’hypercentre en donnant également de pouvoirs supplémentaires et beaucoup plus importants aux arrondissements parisiens, de manière à rapprocher leurs prérogatives des communes de plein exercice.
4) renforcer la démocratie à l’échelon intercommunal en élisant les conseillers au suffrage universel direct. Afin d’éviter la multiplication des élections, et garantir une certaine cohérence, on pourrait imaginer un mode de scrutin permettant de désigner sur une même liste les représentants des différentes structures, comme cela se fait pour les élus du conseil de Paris et des arrondissements.
Ce projet, il nous faudra l’approfondir et le construire avec tous nos partenaires (politiques, associatifs, économiques) et surtout avec la population. C’est pourquoi l’idée émise par Michel Bourgain d’organiser un grand « forum démocratique métropolitain » pour débattre avec l’ensemble des acteurs mérite largement d’être soutenue par Les Verts comme une étape essentielle de la création d’une identité et d’un projet métropolitain « désirable ».
On le voit, la question de la gouvernance de l’agglomération parisienne vaut donc mieux que des rivalités entre Etat, élus régionaux, élus parisiens, etc. défendant leurs chasses gardées. Elle est une des conditions essentielles de la capacité de notre Région d’affronter les urgences écologiques et sociales du 21ème siècle. Ce débat, instrumentalisé dans la compétition électorale régionale, est mal engagé.
Il nous appartient, nous Les Verts, de montrer que l’imagination peut encore arriver au pouvoir !
Denis Baupin – Mai 2008