Publié le 21 juin, 2010
0Vive la mutinerie
Enfin nous arrive quelque chose de réjouissant de l’équipe de France de football en Afrique du Sud : une révolte ! Certes, on nous rétorquera qu’il s’agit de la révolte de jeunes gens perclus de fric, divisés, égoïstes, etc. Sans aucun doute. Mais il y a indéniablement quelque chose de sympathique à lire le regard de défi dans les yeux du capitaine de l’équipe de France, à voir ces joueurs engager un mouvement collectif au risque de fragiliser leur image, leur statut, leurs revenus, un mouvement de révolte, une mutinerie.
« Une mutinerie », n’hésitent pas en effet à proclamer en boucle les médias horrifiés ! Le mot lui-même dit tout : dans toute autre profession, on parlerait de grève. Mais en matière de football professionnel, visiblement, pas d’autre analogie possible que l’institution militaire. Qui ose lever le ton, refuser d’appliquer les ordres, commet le crime de lèse-majesté. Et il suffit d’entendre les protestations unanimes de tous ceux qui vivent grassement de la compétition footballistique (les cadres, les dirigeants de fédération, les commentateurs, les journalistes, les sponsors, les ministres, etc.) pour imaginer la terreur qui les saisit : et si la poule aux œufs d’or était menacée ? Et si l’idée de mutinerie venait à contaminer l’ensemble des clubs de foot, pire l’ensemble du monde sportif… et, non, n’osons pas l’imaginer, la société elle-même ! Que cette image d’insubordination vienne de ceux-là mêmes qu’on a porté au pinacle de la popularité, pourri de pognon, arrosé de luxe, ceux-là mêmes qui sont censés incarner la Nation, porter Le maillot – le sacro-saint maillot bleu – censés chanter en chœur la Marseillaise – vous savez, le « sang impur » – que ce soient ceux-là mêmes qui osent faire ce pied de nez à l’ensemble de la nomenklatura, non décidemment, je n’arrive qu’à m’en réjouir.
Ultime ironie : voir le pauvre Domenech lire lui-même la déclaration d’indépendance des joueurs ! Le général lisant lui-même le message des mutins : un rêve pour tous les soldats du monde ! Certes, le général en question était bien avant cela déjà fortement décrédibilisé… Mais la faute à qui ? Si ce n’est à ceux-là mêmes qui l’avaient laissé en place alors que, visiblement, aux yeux de tous ceux qui semblent tenir des propos compétents en la matière, il n’y était pas à sa place. Il croit même me souvenir qu’à l’époque, on disait que la Fédération française de football – les vieillards cacochymes qui gouvernent ce monde – avait préféré le maintenir plutôt que de voir la glorieuse génération de 1998 menacer leur pouvoir en leur imposant l’un des leurs comme sélectionneur. Ceux-là mêmes qui ont choisi le moins compétent, parce que le moins menaçant, afin de préserver leur petit pouvoir et leurs gros avantages, voient leur revenir en boomerang leur général défait, leur propre incompétence, et cela balancé par leurs propres joueurs qui disent ainsi tout haut que le roi est nu ! Décidemment, et même s’il est probable que l’ordre revienne fissa tant les intérêts en jeu sont considérables – Sarko lui-même a senti le danger – ce 20 juin 2010 restera comme un jour faste.
Denis Baupin