Publié le 16 décembre, 2009
0Copenhague : Vraies et fausses solutions, par Denis Baupin
Ici, à Copenhague, le compte à rebours est enclenché. Plus que 6 jours, 5 jours, 4 jours,… La machine infernale est en marche, et bien malin qui aujourd’hui peut prédire à quoi elle aboutira. Toutes les hypothèses restent sur la table : de l’échec complet au miracle inespéré, en passant par toutes les nuances d’accord plus ou moins tiédasse, tant les négociations sont complexes, mêlant tant d’intérêts divergents, de solutions juridiques à inventer, de rapports de force inégaux et d’égoismes souverains.
Plus les négociations piétinent et plus les « side-events » semblent se multiplier. J’assiste à ceux qui concernent les élus locaux, Sommet des Maires, Comité des Régions, etc. La litanie des discours en devient presque oppressante. Tout le monde (même l’OCDE, la Banque Mondiale, et une impressionnante file de multinationales) est devenu « Vert », conscient de l’enjeu climatique… et fait déjà son maximum.
On se demande de quoi osent encore se plaindre le paysan malien qui expliquait ne plus pouvoir nourrir sa famille ou les représentants des îles menacées d’être englouties !
Certes, cela fait longtemps que je ne crois plus au grand soir, qui plus est au grand soir climatique. Certes, je sais que le monde ne change pas en un jour, que les changements se construisent pas à pas. Et à tout prendre, sans doute vaut-il mieux que la Banque Mondiale, l’Ocde, etc. soient aujourd’hui obligés d’inclure le dérèglement climatique dans leurs discours, plutôt que de l’ignorer. Car si l’expérience montre que les actes ne suivent pas toujours les discours, il est certain que sans modification préalable des discours il n’y aura pas de modification des actions.
Mais que de temps perdu ! Que de retard alors que l’urgence à agir est partout proclamée par les scientifiques ! Jour après jour, mon sentiment de malaise laisse place à la colère.
C’est finalement hors des couloirs feutrés du Bella Center qu’on trouve un peu d’air frais. Avec les ONG et les nombreux activistes qui tentent de faire le lien entre le dedans et le dehors du Cop15… mais aussi en regardant le monde réel.
Depuis hier, clin d’oeil du climat, la neige tombe régulièrement sur Copenhague (rappelant opportunément que les logiques climatiques ne sont peut-être pas encore totalement déréglées). Et ce qui frappe le plus l’oeil de l’ancien Maire adjoint aux Transports, c’est, malgré ce climat rude, la profusion de cyclistes bravant la neige et le froid. Plus encore que les jours précédents, cette omniprésence est un réconfort.
C’est l’occasion de rappeler que lors de son dernier Congrès, à la Rochelle, le Club des Villes Cyclables m’a mandaté, en tant que Président honoraire, pour le représenter et porter ses messages à Copenhague. Une tache doublement difficile à remplir : outre l’avance considérable de Copenhague sur les villes françaises (même les plus volontaristes), force est de constater que, au sein du Bella Center peut d’intérêt est accordé aux vraies solutions, aux solutions simples, celles qui font réellement décroître notre empreinte écologique.
N’ayez aucun doute : dans les couloirs du Bella Center, dans les casiers des délégations, dans les publications destinées à la presse, ne manquent les publicités d’aucun constructeur automobile ! Et tous sont des modèles de conversion écologique, tous ont déjà (ou vont avoir d’ici peu) une gamme de véhicules modèles !
Mais on cherchera en vain la réunion, la conférence, le sous-comité, où on mette enfin en accusation la responsabilité du lobby automobile dans le péril climatique.
Revons une seconde qu’on ait consacré aux transports collectifs les milliards de dollars dépensés depuis des décennies pour construire routes et autoroutes, pour chercher et transporter le pétrole, et pour faire la guerre pour le pétrole. Revons une seconde que, comme Copenhague ou Amsterdam on n’ait jamais cherché à éradiquer le vélo de la ville (supposé être un reliquat du passé dans les villes livrées à l’automobile) et qu’on ait réservé les voies nécessaires aux vélos et aux transports collectifs dans toutes les villes (alors qu’aujourd’hui la reconquête de l’espace en ville est un tel combat). Revons une seconde qu’au lieu de construire des voitures toujours plus grosses, plus puissantes, plus énergivores, plus polluantes – et qui organisent la congestion inéluctable des villes – on ait choisi d’adapter l’automobile au besoin réel, avec de petit véhicule, peu polluant, peu consommateur d’espace… sans doute la menace climatique serait elle aujourd’hui moins pressante, sans doute pourrions nous penser léguer aux générations futures des réserves pétrolières permettant de garantir que cette ressource puisse servir aux besoins essentiels, sans doute pourrions nous rêver à ce que l’ensemble des habitants de cette planète ait un accès égal au droit à la mobilité.
Ce n’est pas tant l’automobile qui est ici en question – car elle a constitué une étape du progrès et de la capacité de mobilité de l’être humain – que le système automobile, cette logique omniprésente imposée par le lobby industriel et qui a modelé nos villes, notre économie, y compris nos imaginaires. Et je ne prétends pas ici faire une grande découverte : René Dumont le disait déjà il y a 40 ans ! 4 décennies perdues pendant lesquelles les dégâts se sont déployés à un rythme que même René Dumont n’aurait pas imaginé.
Pourtant, alors que cette logique nous a amené au bord du précipice, les dirigeants du monde continuent de croire que seuls quelques modifications suffiraient de faire face, et à faire confiance aux mêmes lobbies pour apporter les réponses.
Il en va hélas de même en matière énergétique. Là aussi, il est temps de dire que les 4 vieilles énergies (pétrole, charbon, gaz et aussi nucléaire) sont parties du problème et non de la solution : centralisées, basées sur des ressources en quantité limitée, nécessitant des investissements lourds et des réseaux de taille toujours croissante, peu créatrices d’emploi, elles sont les énergies du passé. L’avenir est aux énergies souples, locales, renouvelables, et bien plus créatrices d’emploi.
Là encore, comme dans le domaine des déplacements, le rapport de force au sein de la Cop15 est fondamentalement inégal : les solutions du passé, les fausses solutions, sont omniprésentes, quand les vraies solutions, les solutions du futur sont marginalisées.
Autant de raisons de rester extrêmement vigilants et actifs qu’il y ait ou qu’il n’y ait pas d’accord de Copenhague !
Denis Baupin
En direct de Copenhague