MILAN/PARIS (Reuters) – Le groupe italien Enel a annoncé mardi son retrait du projet de construction de l’EPR de Flamanville (Manche), au lendemain de l’annonce d’une nouvelle augmentation du coût de la construction de ce réacteur nucléaire de dernière génération, qui avoisine désormais 8,5 milliards d’euros.
Enel, qui participe à hauteur de 12,5% à ce projet, a précisé qu’il serait dédommagé à hauteur d’environ 613 millions d’euros afin de compenser ses investissements déjà engagés, soulignant toutefois qu’il restait présent en France.
« Le marché français demeure stratégique pour le groupe Enel qui continuera à y être actif grâce à sa présence diversifiée dans les activités de négoce d’énergies renouvelables, de gaz et d’électricité », a-t-il dit dans un communiqué.
En dehors de la question du surcoût de Flamanville, EDF a estimé que le retrait d’Enel résultait également du rejet en juin 2011 par référendum d’un projet de relance du programme nucléaire italien.
L’Italie avait stoppé la production de ses quatre centrales nucléaires en 1987, après la catastrophe de Tchernobyl en Ukraine.
« Cela a plus de sens industriel pour eux de sortir du projet de Flamanville suite au référendum de 2011 », a observé une porte-parole d’EDF jointe par téléphone, précisant qu’en tenant compte des intérêts l’indemnité versée à Enel attendrait 700 millions d’euros.
Enel étant la seule société étrangère à posséder des parts dans le projet, EDF va récupérer l’ensemble des revenus à venir liés à la commercialisation de l’électricité produite par l’EPR, a ajouté le groupe français.
L’action EDF (-2,3% à 13,97 euros) a accusé mardi la plus forte baisse de l’indice CAC 40 à la Bourse de Paris, la question de la rentabilité de l’EPR étant désormais largement posée.
« EXPORTATION IMPOSSIBLE »
EDF avait annoncé lundi soir que le coût de construction de l’EPR de Flamanville avait augmenté de deux milliards d’euros, atteignant ainsi 8,5 milliards d’euros en tenant de l’inflation, contre 3,3 milliards prévus initialement en 2005.
« C’est un montant assez gros et le coût paraît exorbitant. Après un rapide calcul, le coût complet de production serait de 105 euros par MWh, soit le double du prix actuel de l’électricité », observe Per Lekander, analyste chez UBS.
« D’une certaine manière, les dernières 24 heures ont tué le nucléaire français. Avec de tels coûts, l’exportation est impossible et maintenant vous avez un des rares partenaires qui se retire. C’est très mauvais signe », ajoute-t-il.
Sur le marché spot de l’électricité, le contrat français pour mercredi se négocie à 57,50 euros en fin d’après-midi, en hausse de 8%.
« Cela semble impossible pour l’Angleterre d’accepter un tel prix et cela pourrait bien signifier la fin de l’EPR en Angleterre », prévient l’analyste d’UBS.
EDF Energy, filiale britannique d’EDF, négocie actuellement avec les autorités britanniques les conditions d’implantation de deux réacteurs EPR au Royaume-Uni. Le groupe envisage d’y construire jusqu’à quatre EPR.
Outre celui de Flamanville, trois autres EPR sont en construction: un en Finlande, où le projet accuse également retard et surcoûts, et deux en Chine, où le chantier progresse selon le calendrier établi.
La France cherche par ailleurs à vendre deux réacteurs EPR supplémentaires à la Chine.
Enel avait signé en novembre 2007 un accord stratégique avec EDF portant sur une coopération sur la centrale de Flamanville et sur cinq autres éventuels projets d’EPR en France.
Paris espère en outre finaliser la vente de deux EPR à l’Inde.
DES COÛTS « SOUS-ÉVALUÉS » AU DÉPART
En 2005, EDF avait estimé le coût de la construction de l’EPR de Flamanville à 3,3 milliards d’euros, puis l’avait revu à quatre milliards en 2008 et à six milliards en 2011.
« Ce sont encore des milliards qui viennent s’ajouter à d’autres pour une société qui est déjà en difficulté sur le plan financier avec pas mal de dette », observe de son côté un vendeur actions à Paris.
EDF affiche l’un des ratios de dette à long terme sur fonds propres les plus élevés du CAC 40, à 137%, contre 59% en moyenne pour les principales valeurs françaises.
Alors qu’une partie des écologistes pressent le gouvernement d’arrêter la construction de ce réacteur, la ministre de l’Ecologie et de l’Energie a insisté mardi sur le fait que le calendrier du projet serait tenu, ajoutant qu’EDF jouait « la transparence ».
« Le calendrier d’ouverture en 2016 sera tenu. Nous sommes maintenant dans une phase où 93% des travaux de génie civil -du gros oeuvre- sont réalisés », a déclaré Delphine Batho à la presse, à l’issue d’un séminaire gouvernemental.
La ministre a fait valoir que les coûts du projet avaient été « sous-évalués » au départ et qu’il fallait tenir compte du fait que l’EPR de Flamanville était le premier réacteur de ce type.
Denis Baupin, vice-président du groupe Europe Ecologie-Les Verts à l’Assemblée nationale, appelle pour sa part François Hollande à « arrêter les frais ».
« M. le président, puisque le destin de l’EPR de Flamanville est déjà scellé, pourquoi ne pas arrêter les frais dès maintenant et économiser des milliards d’argent public dont notre économie a tant besoin par ailleurs? », écrit-il dans un communiqué.