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Publié le 4 décembre, 2013

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Le Monde – Réduire à 50 % la part du nucléaire en France, crédible ou non ?

A-t-elle été poussée par son tropisme pro-nucléaire ? A-t-elle dit tout haut ce que certains – y compris au sein de la majorité – pensent tout bas ? Toujours est-il qu’Anne Lauvergeon, ex-présidente du groupe nucléaire français Areva, a jeté un pavé dans la mare en déclarant, mardi 3 décembre au micro de France-Inter, que l’objectif du gouvernement de réduire à 50 % la part de l’atome dans la production électrique française, d’ici à 2025, « n’est pas réaliste ».
Et d’ajouter : « Je crois que la date a été plus ou moins renvoyée à plus tard ». Une sortie qui a aussitôt entraîné une ferme mise au point de l’entourage de François Hollande et du ministre de l’écologie, Philippe Martin, prompts à réaffirmer que les engagements présidentiels « seront bien évidemment respectés ».

La réduction de 75 % à 50 % de la part de l’électricité d’origine nucléaire à l’horizon 2025 constituait le 41e des « 60 engagements pour la France » du candidat Hollande. Un objectif réitéré par le chef de l’Etat le 20 septembre, dans son discours d’ouverture de la deuxième conférence environnementale pour la transition écologique.

«Vous connaissez l’engagement que j’ai pris : réduire à 50% la part du nucléaire dans la production d’électricité à l’horizon 2025. Cela commence aujourd’hui. » Poursuivant : « Je rappelle que la centrale de Fessenheim sera fermée d’ici fin 2016 ».

« ARRÊTER UNE VINGTAINE DE RÉACTEURS »

Venue présenter, sur les ondes, le concours mondial d’innovation lancé le 2 décembre par François Hollande, et auquel elle est associée en qualité de présidente la commission « innovation 2030 », Mme Lauvergeon, ancienne conseillère de François Mitterrand, en a donc profité pour mettre en cause la feuille de route énergétique du gouvernement. A la fois sur le gaz de schiste – « Je crois, a-t-elle déclaré, que nous aurions intérêt à exploiter du gaz non conventionnel de façon écologique, plutôt que de recourir au charbon » – et, donc, sur l’atome.

« On ne peut pas se permettre de passer de 75% d’énergie nucléaire à 50% d’ici 2025, affirme l’ex-patronne d’Areva (…) Cela poserait un problème grave (…) Cela voudrait dire arrêter une vingtaine de réacteurs. Je ne pense pas que cela soit réaliste aujourd’hui sur le plan économique et pratique. »

« Je suis le ministre qui a en charge le nouveau mix énergétique et mon objectif reste celui qui m’a été fixé par le chef de l’Etat, c’est-à-dire d’obtenir cette réduction à 50% de la part d’électricité produite par l’énergie nucléaire à l’horizon 2025 », a vertement réagi Philippe Martin. S’agissant d’un éventuel report de calendrier évoqué par Mme Lauvergeon, le ministre de l’écologie a précisé : « C’est peut-être dans sa tête mais pas dans la mienne ».

« ENERGIES DU PASSÉ »

Les commentaires ne se sont pas fait attendre. « Anne Lauvergeon préfère la conservation à l’innovation », raille Denis Baupin, député Europe Ecologie-Les Verts et vice-président de l’Assemblée nationale. « On aurait pu penser que devenue présidente de la commission « innovation 2030 », l’ancienne présidente d’Areva privilégie dorénavant les industries et énergies d’avenir et non celles du passé, poursuit-il. Ses déclarations montrent qu’il n’en est rien et jettent un halo bien poussiéreux sur sa conception de l’innovation. »

Le député écologiste voit aussi dans les propos de Mme Lauvergeon « une bien faible confiance en la capacité d’innovation des énergéticiens français, une faible connaissance des mutations énergétiques en œuvre chez nos voisins et une forme de mépris du travail de tous ceux qui (…) ont élaboré des scénarios énergétiques qui montrent comment la France peut passer à 50% de nucléaire en 2025 ».

« RUPTURE TECHNOLOGIQUE »

Le président du MoDem, François Bayrou, a en revanche jugé lui aussi, mercredi 4 décembre, que la réduction de la part de l’atome n’est pas « crédible ». « Je ne crois pas qu’il y ait un scénario crédible de remplacement de la part de l’énergie nucléaire par des énergies alternatives », dit-il, ajoutant : « Si le danger principal est l’augmentation de la production des gaz à effet de serre, c’est le nucléaire qui permet à la France d’être un des pays qui produit le moins de CO2 ».

Fait notable, le député PS Jean-Yves Le Déaut (Meurthe-et-Moselle) émet également des doutes sur la possibilité d’atteindre l’objectif de 50% « sans rupture technologique ». « On n’a que 12 ans pour réussir et pour nous il y a des inconnues », souligne M. Le Déaut, qui cite notamment les « économies d’énergie » à réaliser, ou la nécessité de disposer d’énergies alternatives « à prix équivalent au marché ».

LES ÉLECTRICIENS SUR LA DÉFENSIVE

Au-delà de ces prises de position, la question des modalités d’un abandon partiel et progressif de l’atome par la France reste entière. Un calcul simple conclut que réduire d’un tiers le part du nucléaire dans le mix électrique national conduit à fermer un tiers des 58 réacteurs du parc hexagonal, soit une vingtaine de réacteurs. C’est le chiffre évoqué par Mme Lauvergeon et c’est celui qui circule parmi les experts.

Un tel scénario est vivement combattu par l’Union française de l’électricité (UFE) et, spécialement, par EDF, qui entend bien conserver intact son potentiel de production d’énergie nucléaire. Son PDG, Henri Proglio, explique à qui veut l’entendre que, du fait de la croissance de la consommation d’électricité, la part du nucléaire chutera mécaniquement à 50%, sans qu’il soit nécessaire de fermer aucun réacteur, en 2025. A cette échéance, argumente-t-il, « le pays comptera 6 millions d’habitants supplémentaires », et « le parc nucléaire, complété de l’EPR de Flamanville, ne couvrira que la moitié des besoins des particuliers et des entreprises ».

JEU À SOMME NULLE

La sobriété et l’efficacité énergétiques d’une part, l’essor des filières renouvelables d’autre part, seront bien sûr des paramètres déterminants de la future équation énergétique de la France. En tout état de cause, la future loi sur la transition énergétique – qui n’est plus attendue, au mieux, avant l’automne 2014 – ne fixera pas une liste de réacteurs à fermer. Le texte, a indiqué François Hollande lors de la conférence environnementale, se bornera à poser « le principe d’un plafonnement à son niveau actuel de notre capacité de production nucléaire ». Ce qui laisse supposer un « jeu à somme nulle » : l’arrêt des deux réacteurs alsaciens de Fessenheim (d’une puissance de 900 Mégawatts (MW) chacun), en contrepartie de la mise en service de l’EPR de Flamanville (d’une puissance de 1 600 MW).

La loi devrait aussi donner à l’Etat les moyens de « maîtriser la diversification de notre production d’électricité selon les objectifs que la nation, souverainement, aura choisie ». Des moyens qui lui font aujourd’hui défaut, seuls l’opérateur – EDF -, pour des raisons de politique industrielle, ou l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), pour des motifs de sûreté, étant actuellement fondés à fermer une installation nucléaire. Mais la sortie partielle du nucléaire reste toujours à programmer.

Pierre Le Hir
Journaliste au Monde

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