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Publié le 30 octobre, 2012

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Le Monde – L’avenir de la centrale nucléaire de Fessenheim est loin d’être joué

La bataille de Fessenheim est lancée. Et elle se joue sur deux fronts. Le premier vise à semer le doute sur la possibilité de tenir l’engagement pris par François Hollande de fermer fin 2016 la plus vieille centrale nucléaire de France, proche d’une zone sismique, à côté du canal d’Alsace. Le second oppose ceux qui croient ou non à la pertinence d’en faire – une fois les deux réacteurs arrêtés – « un site pilote pour le démantèlement des centrales en fin de vie », « une filière d’excellence » dont le savoir-faire s’exportera à l’étranger, pour reprendre les mots du chef de l’Etat.

 

La contre-offensive sur la mise en sommeil de Fessenheim est d’abord menée par Henri Proglio, le PDG d’EDF, épaulé par les salariés, la CGT et les directeurs – anciens et actuels – de la centrale. Elle a reçu un soutien de poids, le 21 octobre, en la personne d’André-Claude Lacoste, directeur de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). M. Lacoste, dont la parole se libère à l’approche de sa retraite – le nom de son successeur sera connu début novembre –, a laissé entendre dans le Journal du dimanche que la fermeture du site n’était pas irréversible et que sa mise en oeuvre pourrait être repoussée à la prochaine mandature.

 

En clair, il suffit de gagner quelques mois, de fin 2016 à mai 2017, et d’attendre le nom du prochain président de la République. Si la droite revenait au pouvoir, Fessenheim pourrait être sauvée. Le gendarme du nucléaire rappelle donc à l’envi que la constitution du dossier de fermeture puis le décret de démantèlement demandent « cinq ans », ce qui repousse du coup le calendrier à 2017. Et que, comme il ne s’agit pas d’une question de sûreté – l’ASN réclame des travaux importants sur le site mais pas sa fermeture -, une loi sera nécessaire.

 

FAILLE DANS LE DOSSIER DU GOUVERNEMENT

 

Une analyse réfutée par Delphine Batho, la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. « La fermeture aura bien lieu en 2016 », explique-t-elle au Monde. Ce qui signifie, précise-t-elle, que les procédures administratives nécessaires seront engagées à temps. Tout ce processus incombera à la « personnalité qualifiée » dont l’Elysée a annoncé la nomination prochaine pour piloter ce dossier.

 

« Ce combat me rappelle ce qui s’est passé après l’annonce en 1997 par Lionel Jospin, alors premier ministre, de la fermeture de Superphénix, le réacteur expérimental de Creys-Malville [Isère]. Tout le lobby nucléaire est monté au créneau pour expliquer que la France allait perdre un joyau. Et finalement le réacteur a été stoppé un an plus tard, en 1998 », remarque Bernard Laponche, cofondateur de Global Chance, association d’experts spécialisés dans les questions de climat et d’énergie.

 

Comme beaucoup d’autres observateurs, M. Laponche pointe néanmoins une faille dans le dossier du gouvernement. « Si la décision de fermer Fessenheim est prise, pourquoi ne pas arrêter les réacteurs avant qu’EDF engage les travaux réclamés par l’ASN pour pouvoir continuer à exploiter le site en toute sécurité ? Certains doivent être lancés avant juin 2013 et on parle de dizaines de millions d’euros… »

 

Il y a une semaine, Denis Baupin, député Europe Ecologie-Les Verts, vice-président de l’Assemblée nationale, a écrit au président de la Cour des comptes, Didier Migaud, pour qu’il s’exprime en tant que garant du bon usage des fonds publics – EDF est détenu à 85 % par l’Etat – sur la pertinence d’engager ces dépenses. Rappelant que l’entreprise entend demander des indemnités à l’Etat pour compenser le coût – entre autres les investissements non encore amortis – de la fermeture. Le chiffre de 2 milliards d’euros, un temps évoqué, a été démenti par l’électricien mais les calculettes crépitent.

 

« ENTRE 5 ET 10 FOIS MOINS DE PERSONNEL »

 

Si le gouvernement parvient à sortir vainqueur de cette première bataille, qu’en est-il pour la seconde ? L’idée de faire de Fessenheim, une filière d’excellence du démantèlement a-t-elle un sens ? C’est l’une des conditions qui permettraient de tenir la promesse du gouvernement de « préserver tous les emplois », soit 700 salariés d’EDF auxquels s’ajoutent 200 prestataires permanents. Or le seul démantèlement de Fessenheim n’y suffira pas : « Une installation en déconstruction nécessite entre 5 et 10 fois moins de personnel qu’un site en exploitation », chiffre Alain Ensuque, directeur du Centre d’ingénierie de la déconstruction et de l’environnement (Ciden) créé en 2001, à Lyon, par EDF.

 

C’est ce centre, qui compte 560 salariés, que le groupe électrique met en avant pour expliquer que la création d’un nouveau pôle d’expertise n’aurait aucun sens. Dans le domaine du démantèlement, EDF n’en est pas à son coup d’essai. Neuf réacteurs sont en cours de déconstruction : Brennilis (Finistère), Bugey 1 (Ain), Chinon A1, A2 et A3 (Indre-et-Loire), Creys-Malville (Isère), Chooz A (Ardennes) et Saint-Laurent A1 et A2 (Loir-et-Cher). Mais aucun n’est comparable aux deux réacteurs à eau pressurisée (REP) de 900 mégawatts de Fessenheim, qui forment le « standard » du parc hexagonal. Tous appartiennent à d’autres filières (eau lourde, graphite-gaz, neutrons rapides), à l’exception de Chooz A mais dont la puissance est trois fois moindre. Il y aurait donc une logique industrielle à ce que le groupe se fasse la main à Fessenheim.

 

Mais a-t-il fait toutes ses preuves ? Le démantèlement de Brennilis fermé en 1985 est loin d’être achevé. Débuté en 2002, il a été interrompu à la suite de recours d’associations écologistes, puis réautorisé partiellement en 2011 pour s’achever peut-être en 2023.

 

LE DÉMANTÈLEMENT ESTIMÉ À 480 MILLIONS d’EUROS

 

Et selon la Cour des comptes, le coût de l’opération sera plus proche des 480 millions d’euros que des 20 millions d’euros estimés en 1979. Ce dérapage financier est une pierre dans le jardin d’EDF dont les provisions prévues pour le démantèlement de son parc nucléaire, soit 18,4 milliards d’euros, sont inférieures à celles prévues, proportionnellement aux Etats-Unis ou en Allemagne. La Cour des comptes suit le dossier de près et s’en inquiète régulièrement.

 

Ces aléas font dire à Delphine Batho que la proposition du gouvernement a du sens : « Quelque 400 réacteurs vont être fermés de par le monde. Le développement d’une expertise française très forte et très compétitive est un vrai enjeu. » Bernard Laponche appelle aussi à un savoir-faire plus large que celui d’EDF. « Réfléchissons en termes de coopération internationale, avec les Allemands, par exemple, qui ont décidé d’arrêter le nucléaire d’ici à 2020. Des tas de questions se posent. Quelle spécialité nous faut-il ? Quelle robotique ? Pour démanteler, EDF a recours à des entreprises sous-traitantes qui embauchent des intérimaires. Plutôt que d’avoir recours à des hommes, ne serait-il pas intéressant de développer les robots ? A Fukushima, on a pu mesurer à quel point ces derniers étaient encore inadaptés… »

 

Une autre piste de progrès est également possible, à en croire Fabrice Boissier, directeur de la maîtrise des risques à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) : l’optimisation – une fois le démantèlement accompli – du tri, du compactage et du recyclage des déchets. « Beaucoup de choses restent à améliorer. Par exemple, les aciers radioactifs pourraient être recyclés et réutilisés dans le nucléaire. Mettre autour d’une table l’ensemble des acteurs, l’ASN, Areva, EDF, les sous-traitants, etc., permettrait certainement de diminuer le volume de déchets à stocker, donc le nombre de sites à créer et qui soulèvent l’opposition des populations. » Un enjeu important puisque – si rien ne change – l’Andra prévoit un doublement du stock de déchets radioactifs d’ici à 2030, soit 2,7 millions de mètres cubes.

 

Article de Marie-Béatrice Baudet et Pierre Le Hir, le Monde du 30/10/2012

 

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