Publié le 26 février, 2016
0Altereco Plus – Denis Baupin : « L’équation d’EDF est intenable »
Pas question pour l’électricien tricolore de réduire le nombre de ses centrales nucléaires. Un calcul hasardeux et contradictoire avec la transition écologique, estime le député écologiste Denis Baupin. Le gouvernement va devoir trancher et la présentation des décrets relatifs à la programmation pluriannuelle de l’énergie, annoncée pour début mars, sera l’épreuve de vérité.
Sur 90 textes d’application de la loi de transition énergétique promulguée le 17 août dernier, 20 étaient d’application immédiate et 14 autres ont depuis été publiés, selon le tableau de suivi du ministère de l’Ecologie. Il en reste donc 56. Faut-il parler de retard ?
Les textes non encore publiés sont pour la plupart en phase de rédaction ou de consultation. Il reste certes encore beaucoup de travail, mais je ne crois pas qu’on puisse vraiment parler de retard. Beaucoup de ces textes sont techniquement complexes et appellent des procédures de concertation dans diverses instances. Par exemple, le Conseil supérieur de l’énergie, dont je suis vice-président, en examine un grand nombre. Il y a aussi le Conseil d’Etat. Et il ne faut pas oublier les mises en consultation publique pour que les citoyens et leurs organisations puissent donner un avis. Tous ces retours doivent ensuite être examinés par le ministère. Pour faire correctement le travail de déclinaison de cette loi, cela prend du temps, et je ne suis pas choqué qu’on le prenne.
Parmi les décrets dont la publication tarde, il y a aussi la programmation pluriannuelle de l’énergie. Qu’est-ce qui coince ?
La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) est un texte d’application central pour mettre en œuvre la loi de transition énergétique. Cette première PPE doit déterminer, pour 2018 et 2023, les objectifs de production d’énergie d’un côté et, de l’autre, ceux de réduction de la demande, secteur par secteur. Les PPE suivantes seront fixées à chaque nouveau quinquennat, avec des chiffres à 5 et 10 ans. Par exemple, la deuxième PPE, en 2018, doit confirmer ou renforcer les chiffres pour 2023 et fixer les objectifs pour 2028. La PPE permet ainsi de piloter la réalisation des objectifs de long terme de la loi : en particulier une division par quatre des émissions de gaz à effet de serre en 2050 par rapport à 1990, une division par deux de la consommation d’énergie finale en 2050 par rapport à 2012 (et de 20 % en 2030), une part de 32 % des énergies renouvelables dans la consommation finale en 2030 et… une part de 50 % d’électricité d’origine nucléaire dans le mix électrique en 2025.
Il a été inscrit dans la loi de transition énergétique que la PPE devait être mise en consultation avant la fin 2015. De fait, cela n’a pas été le cas. Un report a été annoncé et le texte devrait être mis en consultation début mars. Un décalage dont les raisons ne sont un secret pour personne : le sujet compliqué, c’est le nucléaire.
Il y a bien un moment où il va falloir écrire des chiffres sur la puissance du parc des centrales ou le niveau de leur production à atteindre en 2018 et en 2023. Et il ne sera pas compliqué de déduire de ces chiffres ce que cela signifie en termes de nombre de réacteurs qui resteront ou non en service.
Indépendamment même des objectifs de la loi de transition énergétique, le problème de surcapacité électrique sur la plaque ouest-européenne impose d’agir, ce que vient de dire le dernier rapport annuel de la Cour des comptes et ce que le PDG d’EDF reconnaît lui-même1. La conséquence, c’est que les prix du marché sont très bas, et donc qu’EDF vend à perte. Cette surcapacité n’implique pas qu’il revienne à EDF tout seul de supprimer des capacités non renouvelables, mais en bonne logique, si on retire des moyens de production dans l’ouest de l’Europe, il faut qu’EDF participe à l’effort. A partir du moment où l’on passe du vieux monde des énergies non renouvelables à celui des énergies renouvelables, il est fatal que des centrales à charbon disparaissent en Allemagne et des centrales nucléaires en France.
EDF considère que sa production nucléaire ne doit pas baisser dans le temps et entend planifier ses opérations dans ce sens… Est-ce tenable ?
EDF dit qu’il veut – et prétend pouvoir – maintenir constante sa production nucléaire. Même à supposer qu’il s’agisse d’une posture de négociation afin d’en lâcher le moins possible, c’est intenable. Tout le monde sait qu’EDF ne pourra pas prolonger l’intégralité de son parc de réacteurs restants lorsque Fessenheim sera fermé. Sur les 56 réacteurs restants, il est très probable que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) se prononce contre la prolongation d’un certain nombre d’entre eux au vu de l’état des cuves et des enceintes de confinement. Par ailleurs, EDF n’a pas l’argent nécessaire pour réaliser sur 56 réacteurs les opérations dites de « grand carénage » et celles visant à prolonger leur fonctionnement de dix ans. Le dernier rapport de la Cour des comptes a estimé le coût du grand carénage à 100 milliards d’euros sur quinze ans, auxquels s’ajouteront les renforcements de sûreté qui seront exigés par l’ASN au passage des 40 ans.
L’exécutif va devoir trancher. Quels sont les rapports de force en son sein ?
J’ai l’impression que tout le monde est maintenant conscient que la décroissance du nucléaire est inéluctable, compte tenu entre autres de ses coûts et de sa perte de compétitivité par rapport aux renouvelables. La question porte en réalité sur le réglage des curseurs : le rythme de cette transformation, la manière dont elle sera accompagnée d’un point de vue social et économique…
La question est également de savoir qui va porter la responsabilité de la décision. D’un côté, le PDG d’EDF a un œil sur son cours de Bourse catastrophique et l’autre sur les réactions des syndicats. De l’autre, il est compréhensible qu’il ne soit pas facile pour un gouvernement de dire qu’on va fermer des installations. Mais à un moment, il va bien falloir reconnaître que « le roi est nu », que ce modèle ne marche plus et qu’il faut en changer. Avec le vieillissement de ses centrales, EDF fait face à un mur d’investissements colossaux, alors que le groupe est très endetté, il voit son cours de Bourse s’effondrer au point d’avoir été sorti du CAC 40, est exposé à la dégradation de sa note par les agences de notation…
Face à cette accumulation de problèmes, il y a des choix structurants à faire. EDF est aujourd’hui en danger et si des choix ne sont pas faits, il pourrait connaître le même sort que le Minitel face à Internet ou que Kodak face à la révolution de la photo numérique. La meilleure façon de faire que ces choix ne soient pas trop douloureux, c’est de les anticiper.
EDF n’a-t-il pas pourtant des ambitions en matière de renouvelables ?
Les premières ébauches de la PPE que nous avons eues entre les mains proposent d’installer 25 gigawatts de capacités électriques éoliennes et solaires dans les sept ans qui viennent. Pour sa part, EDF projette de créer 5 gigawatts d’ici à 2030, soit cinq fois moins sur deux fois plus d’années. Nous sommes donc dans un rapport de 1 à 10. Je ne défends évidemment pas l’idée d’un monopole d’EDF sur la production d’électricité renouvelable. Mais que le principal électricien de France – de très loin – n’envisage de prendre que 10 % d’un marché d’avenir et reste concentré sur les énergies du passé, c’est, sur le plan industriel et celui de l’emploi, aller dans le mur. Je dis « casse-cou » ! On retombe donc toujours sur la même question : où est-ce qu’on met l’argent du consommateur et du contribuable ? Est-ce qu’on mise tout dans le « grand carénage » sachant que ces centrales nucléaires en bout de course devront rapidement être arrêtées, ou est-ce qu’on met prioritairement l’effort tout de suite sur les renouvelables ?
Retrouvez l’article d’Antoine de Ravignan sur le site d’Altereco Plus
Photo :Centrale nucléaire EDF du Tricastin (Drôme). L’électricien n’a pas l’argent nécessaire pour prolonger le fonctionnement de ses 56 réacteurs. ©Laurent CERINO/REA