Publié le 29 septembre, 2015
0AEF – Reporting climat: D. Baupin et A. Leroy pressent le gouvernement de publier les décrets de la loi transition énergétique
« Nous allons faire le boulot pour être sûrs que les décrets sortent », assure lundi 28 septembre 2015 le député Arnaud Leroy (PS, Français établis hors de France) à propos de l’article 173 de la loi de transition énergétique, qui oblige notamment les investisseurs institutionnels à rendre compte des « moyens mis en œuvre » sur l’enjeu climatique (lire sur AEF). Il s’exprime en clôture d’un colloque sur la finance et le climat qu’il coorganise à l’Assemblée nationale avec Denis Baupin (EELV, Paris). Dans un courrier adressé le 16 septembre à Ségolène Royal et Michel Sapin, les deux députés font part de leurs propositions sur ce que devrait « a minima » contenir le décret relatif aux investisseurs. Le texte aurait dû être publié par le gouvernement ces prochains jours, en vue des assemblées générales de la Banque Mondiale et du FMI les 9 et 10 octobre, mais le processus a pris du retard.
Arnaud Leroy et Denis Baupin sont à l’origine de l’amendement ayant permis d’inscrire dans la loi de transition énergétique le reporting climat des portefeuilles à l’alinéa VI de son article 173. Dans leur courrier, ils se félicitent qu’avec d’autres États membres de l’UE, « le gouvernement travaille à ce que ces dispositions soient portées dans l’ensemble de l’Europe », mais soulignent que « l’opposition à ces dispositions, et, partant, la résistance à leur mise en œuvre, est intense », « comme l’a montré la saisine du Conseil constitutionnel par une soixantaine de députés LR » (lire sur AEF). Ils font alors part aux deux ministres de leurs propositions quant au contenu du décret appliquant les dispositions législatives.
Les députés plaident pour que le décret demande « a minima » que les investisseurs institutionnels :
- « décrivent la stratégie bas carbone mise en œuvre dans l’ensemble des politiques d’investissement pour compte propre et mandats de gestion, et les objectifs échelonnés dans le temps qui permettent de la décliner opérationnellement » ;
- « réalisent une empreinte carbone des investissements en expliquant la méthodologie retenue qui devra a minima porter sur le scope 1 et 2 de l’activité des entreprises présentes dans le portefeuille d’investissements, et couvrir a minima les actions et obligations d’entreprise et les prises de participation dans le secteur des infrastructures » ;
- « communiquent le poids relatif (en valeur) dans leur portefeuille des actifs détenus dans le secteur des énergies fossiles d’une part et d’autre part le poids des actifs détenus, a minima, dans les énergies renouvelables, les solutions d’efficacité énergétique, et les transports durables ; ainsi que les objectifs et trajectoires visés et les moyens mis en œuvre pour réduire le poids du secteur fossile et accroître la part ‘solution’ du portefeuille » ;
- « indiquent dans leur rapport annuel la manière dont la stratégie d’allocation d’actifs et la réduction effective et programmée de l’empreinte carbone de leur portefeuille s’inscrivent dans le respect de la trajectoire visant l’objectif international de limitation à 2 °C du réchauffement climatique » ;
- « communique la prise en compte du risque climatique-carbone dans la politique d’investissement et les options mises en œuvre pour l’atténuer. »
Engagement actionnarial. Concernant l’exercice des droits de vote, le décret doit selon eux « demander aux investisseurs institutionnels d’indiquer la manière dont ils ont pris en compte, dans leurs votes sur le rapport annuel des sociétés dont ils détiennent des titres, la transparence de ces dernières sur les ‘risques financiers liés aux effets du changement climatique’ auxquels elles sont éventuellement exposées », ajoutent-ils. Les députés appellent à la même exigence concernant la « mise en œuvre d’une stratégie bas-carbone dans toutes les composantes de leur activité ».
Guide technique. Les députés proposent que le décret renvoie à « un guide technique ou un référentiel à publier dans le courant du premier semestre 2016 ».
Seuils et objectifs. Ils suggèrent d’inscrire d’éventuelles cibles indicatives que les investisseurs auraient à atteindre, en matière d’impact climatique de leurs portefeuilles, dans la stratégie nationale bas-carbone, qui devrait être adoptée dans les prochaines semaines (lire sur AEF).
Suivi. Quant au suivi de la mise en application de ces dispositions, les députés préconisent de le confier à l’AMF (Autorité des marchés financiers) et proposent une clause de revoyure dans trois ans, en 2018.
Collaboration avec le Medde. Enfin, ils plaident auprès de Bercy pour que les travaux sur le décret se déroulent en concertation avec le ministère de l’Écologie. « Nous espérons être consultés sur le décret de l’alinéa VI de l’article 173 », corrobore en effet le 28 septembre Anne Guillou, sous-directrice de l’intégration des démarches de développement durable par les acteurs économiques au CGDD.
réactions des acteurs de l’investissement
Lors du colloque sur la finance et le climat coorganisé ce lundi par les deux députés à l’Assemblée nationale, nombre d’acteurs de l’investissement responsable, investisseurs, associations, syndicats, ont réagi au projet gouvernemental. « Le projet de décret essaie de réunir les approches de la portfolio decarbonization coalition (qui vise à décarboner les portefeuilles) et du Montreal pledge (qui vise à mesurer et publier l’empreinte CO2 des portefeuilles) », analyse Stéphane Voisin, analyste au sein de Kepler Cheuvreux. « La publication de l’exposition des portefeuilles aux énergies fossiles et de leur contribution à la transition bas carbone n’est pas facile mais il y a des outils », rassure-t-il, citant les méthodologies de science based target, 2 degrees investing, ou la coalition the 3 % solution.
« Ce qui manque un peu dans la loi, c’est la définition d’un risque carbone », estime pour sa part Luisa Florez, analyste senior ISR d’Axa IM. L’assureur a annoncé en mai dernier se désengager en tant qu’investisseur du secteur du charbon (lire sur AEF).
humanis appelle à la formulation d’objectifs
« Nous avons calculé que 1,2 million de tonnes de CO2 sont liées aux portefeuilles d’Humanis, contre 30 000 tonnes si nous ne comptions que ce que notre entreprise émet de manière directe. Ces émissions indirectes sont très importantes, en tant qu’investisseur on ne peut les ignorer », réagit Grégory Schneider-Maunoury, responsable ISR d’Humanis gestion d’actifs, dont la prise de parole « balaie la prétendue incapacité des petits acteurs » à mener ce type d’analyse, rebondit Eric Loiselet, porte-parole du Rair (Réseau des administrateurs pour l’investissement responsable).
Le groupe spécialisé dans la protection sociale a fait appel pour mesurer cette empreinte CO2 aux cabinets britannique Trucost et français Grizzly responsible investment. « Leurs évaluations sont similaires à 5 % près », souligne Grégory Schneider-Maunoury, signe selon lui que le « secteur est capable de produire un résultat comparable, cohérent, et vérifiable ». « Il faudrait un objectif annuel de réduction » des émissions de CO2 des fonds, plaide-t-il toutefois. « Le risque est que si l’on n’a qu’une obligation de moyens, on ne fera que se donner bonne conscience. » Le responsable ISR du groupe spécialisé dans la protection sociale annonce en outre qu’un fonds d’obligations vertes de 30 000 euros vient d’être lancé par Humanis.
« condamnés à la souplesse »
« Nous sommes un peu condamnés à la souplesse », tempère Thierry Philipponnat, président du FIR (Forum pour l’investissement responsable). Il rappelle que le rejet par le Conseil constitutionnel de la censure sur l’article 173 demandée par 60 députés LR, selon lesquels la disposition portait atteinte à la liberté d’entreprendre et d’investir, est justifié par les Sages « par le fait que l’information n’est pas une contrainte » (lire sur AEF). « Cet épisode rappelle la question fondamentale de la liberté de l’investissement » : plutôt que contraindre, il va être nécessaire de passer par la soft law, d’autant que les méthodes de calcul d’impact climatique des portefeuilles ne sont pas arrêtées aujourd’hui. C’est du work in progress. »
Le président du FIR souligne enfin que « l’ISR va au-delà des investisseurs et concerne la société civile, les autorités de contrôle, les syndicats ». Un point repris par Alexis Masse, secrétaire confédéral à la CFDT, chargé de l’ISR, qui déplore que « la place des syndicats dans l’investissement [soit] méconnue ».
Par Ana Lutzky