Publié le 5 juillet, 2010
0Voir et complimenter l’armée française
par Marc Schindler, Journaliste suisse – 03.07.10
Le 14 juillet 1886, le célèbre chansonnier Paulus a fait un tabac à l’Alcazar à Paris avec la célèbre chanson « En revenant de la Revue », dont le couplet est resté une des plus populaires rengaines à la gloire de l’armée française : « Gais et contents, nous marchions triomphants, en allant à Longchamp le cœur à l’aise, sans hésiter car nous allions fêter, voir et complimenter l’armée française !!! » C’était l’époque glorieuse du général Boulanger, qui symbolisait le renouveau de l’armée français et la revanche que la France souhaitait après la défaite de Sedan.
Ah, les temps ont bien changé ! Les élus Verts de Paris proposent de supprimer le défilé du 14 juillet pour faire des économies et de le remplacer par des rassemblements populaires dans toute la France (voir ci-dessous). Sitôt publiée par Le Figaro, cette information a fait s’étrangler d’indignation des lecteurs indignés : soazig11 : « N’importe quoi, j’avais mal lu, je croyais que c’était pour faire des économies ? Et ils veulent qu’on dépense l’argent épargné en beuveries de quartiers avec toute l’insécurité que ça génère ? » Paul emploi : « Ils sont malades, Il faut en finir, mes amis, avec l’oubli dans lequel sombre notre armée. Elle mérite les honneurs de toute la nation. » « Prière de retirer d’urgence la nationalité Française à ces félons, et de les exclure ad vitam aeternam de notre sol. ». D’ici qu’on dresse la guillotine pour ces mauvais Français !
Bon d’accord, la provocation des Verts parisiens est d’abord un coup de pub. Mais, pour un observateur étranger, le défilé du 14 juillet fait partie de cette exception française souvent incompréhensible à l’étranger. Sur les Champs-Elysées, devant le président de la République, le gouvernement et des hôtes d’honneur étrangers (Ho Chi Minh en 1946, le roi Hassan II du Maroc en 1999, le président brésilien Lula en 2005, le président syrien Al-Assad en 2008), 5000 militaires des trois armes défilent à pied, suivis par des détachements militaires étrangers, les pompiers de Paris, la Garde républicaine à cheval, 500 véhicules blindés et de transport, survolés par une soixantaine d’avions et une trentaine d’hélicoptères. Bref, une grande messe républicaine pour célébrer la fête nationale. Le défilé militaire n’existe en réalité que depuis 1880 pour commémorer la Fête de la Fédération en 1790. C’était un geste politique pour montrer que la France s’était redressée après la défaite de 1870. Aucun président de la République – de la IIIe à la Ve – n’a manqué ce devoir patriotique suivi chaque année par des dizaines de milliers de Français sur le parcours du défilé ou devant leur écran.
Pourtant, les Verts posent une question dérangeante : pourquoi la France devrait-elle célébrer sa fête nationale par une démonstration de force militaire, comme la Chine populaire, la Grèce, l’Inde, la République démocratique du Congo, la Belgique, Taïwan ? La plupart des pays démocratiques célèbrent leur fête nationale sans parade militaire. Les défilés militaires sont destinés à célébrer l’anniversaire de la reine, à Londres ; la victoire de 1945 sur le IIIe Reich, à Moscou ; la journée de l’armée à Téhéran et à Pyongyang.
Aujourd’hui, le défilé du 14 juillet fait partie du patrimoine de la France laïque et républicaine. Comme le feu d’artifice et les bals populaires. Cette année, sans garden-party à l’Elysée ni interview télévisée complaisante du président de la République. Mais l’édition 2010 risque de décoiffer les nostalgiques de la Grande Muette : des troupes des quatorze anciennes colonies africaines ouvriront la marche, cinquante ans après leur indépendance. En 2010, année de crise économique, de déficits vertigineux, de chômage persistant, de scandales ministériels, plus question de glorifier l’union des Français avec leur armée. Le budget de la défense va être réduit de 5 milliards d’euros en trois ans, les casernes et les places militaires ferment et l’intervention en Afghanistan est vertement critiquée par un général à 3 étoiles : C’est une guerre américaine. Quand vous êtes actionnaire à 1%, vous n’avez pas droit à la parole ».
Alors, les mauvais esprits ont peut-être raison : à quoi bon un défilé militaire si même les Français et leurs généraux n’ont plus confiance dans leur armée ?
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Conseil de Paris des 5, 6 et 7 juillet 2010
Vœu en faveur d’un 14 Juillet sans défilé militaire
déposé par Sylvain Garel, Denis Baupin et les éluEs du groupe Les Verts
Le Président de la République vient d’annoncer que, pour économiser 730 000 euros, la traditionnelle Garden Party de l’Elysée du 14 juillet serait supprimée. Dont acte. Mais ce pince-fesse mondain est loin d’être l’évènement le plus coûteux et le plus inutile de notre fête nationale. Chaque année, des millions d’euros sont gaspillés pour faire défiler sur les Champs-Élysées des milliers de militaires, des centaines de véhicules qui sont eux-mêmes survolés par des dizaines d’aéronefs. C’est d’ailleurs ce qu’a décidé le Gouvernement socialiste grec qui a renoncé au traditionnel défilé militaire de la fête nationale de ce pays (le 25 mars) et a ainsi économisé cinq millions d’euros. Et ce n’est pas seulement un gaspillage financier, c’est également une aberration écologique. La quantité de produits polluants, de CO2 et de décibels relâchés dans l’atmosphère est en effet considérable.
Outre la pollution et le bruit, ce défilé a des effets négatifs pour notre ville et ses habitants. A commencer par la destruction partielle de la voirie des Champs-Élysées et des rues alentour. Quant à la mobilisation absurde de centaines de policiers chargés de protéger les militaires qui défilent (mais qui protège ces policiers ?), elle empêche chaque année les bien plus utiles opérations Paris Respire d’être organisées le 14 juillet. Ce défilé oblige aussi à de coûteux démontages et remontages de mobilier urbain et une mobilisation importante des services de nettoiement de la Ville avant et après le défilé.
Enfin et surtout, la France est l’une des rares démocraties à organiser un gigantesque défilé militaire le jour de sa fête nationale. Dans la plupart des pays européens et d’Amérique du Nord, la fête nationale est l’occasion de grandes manifestations populaires, pas d’une démonstration de force dérisoire. Ce sont les dictatures qui généralement organisent ce genre de déploiements guerriers. L’exemple historique de l’URSS montre d’ailleurs que le nombre d’engins de mort exposés le jour d’une fête nationale ne garantit absolument pas la pérennité d’un régime.
Nous souhaiterions qu’une partie de l’argent gaspillé dans le défile militaire du 14 juillet, soit utilisée pour promouvoir des rassemblements populaires à Paris et dans toute la France afin que la population puisse se réapproprier une fête nationale depuis trop longtemps largement confisquée par une armée aussi inutile que coûteuse. Pour rappel, lors de l’instauration de la fête du 14 juillet, en 1880, la date du 14 juillet a été retenue non pas en référence au 14 juillet 1789, mais en référence au 14 juillet suivant, celui de 1790, journée de la fédération parce que, dixit le texte du Sénat à l’époque, « Cette seconde journée du 14 juillet n’a coûté ni une goutte de sang, ni une larme ».
Aussi sur proposition de Sylvain Garel, Denis Baupin et des éluEs du Groupe Les Verts le Conseil de Paris émet le voeu que :
le Maire de Paris demande au Président de la République de supprimer le défilé militaire du 14 Juillet et d’affecter une partie des économies ainsi faites à l’organisation de rassemblements populaires à Paris et dans toute la France.