Mobilités

Publié le 12 novembre, 2015

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Trucage des moteurs : tout était connu il y a déjà 10 ans

 

12 novembre 2015 |

Denis Baupin, vice-président de l’Assemblée Nationale revient sur l’affaire Volkswagen. « Et s’ils traduisaient surtout l’absence de volonté des constructeurs automobiles de prendre réellement le virage environnementale ? Et si tous ces trucages (logiciels, tests « optimisés », etc.) montraient surtout qu’atteindre les niveaux de performance requis par la qualité de l’air et le climat est incompatible avec le conservatisme dans lequel est engoncé le modèle automobile ? »

 

Qui savait ? Qui était complice ? Et si le « Volkswagengate » n’était que la partie émergée d’un bien plus vaste scandale industriel de fraude aux émissions de polluants et à la consommation des véhicules ? « Pratiques isolées de certains constructeurs »,  « Phénomènes récents de contournement  de normes devenues trop restrictives » « Fraude dont tout le monde – pouvoirs publics, concurrents, etc. – ignorait tout » Vraiment ???

Depuis que la boîte de Pandore s’est ouverte, les langues se délient pourtant. Au point même que, à écouter certains « experts », l’écart entre tests d’homologation et performance réelle des véhicules sur routes et sur rues constituerait un secret de Polichinelle. Que ne l’ont-ils proclamé plus tôt pour informer les consommateurs chaque fois que les constructeurs pratiquaient donc une publicité connue comme mensongère ? Que n’ont-ils dénoncé plus tôt tous les discours sur la voiture devenue soi-disant « propre » ou sur les soi-disant « progrès considérables » des constructeurs… qui ne se traduisaient pourtant pas dans une réduction de la pollution de l’air ou des importations de pétrole du pays ?

Pourtant, dans ce voile qui se lève tout doucement sur la réalité de l’abîme séparant les tests des émissions réelles, un tabou reste bien difficile à briser : celui des logiciels de trucage. Juré, craché, on n’en savait rien ! Même à Volkswagen tout le monde l’ignorait (sic) ! Certes, on cite bien un commissaire européen – Janez Potocnik – qui en 2013 évoquait le phénomène, mais visiblement personne n’avait lu son mémo. Quant aux autres constructeurs – qui bien sûr ne comparent jamais leurs véhicules à leurs concurrents, et ne s’étonnent pas des écarts de performance avec leurs propres véhicules (resic) – c’est sûr, ils sont tombés de la chaise en apprenant le scandale.

 

Dès 2005, Auto Moto expliquait tout

Qu’il nous soit permis d’en douter. Replongeons-nous pour cela dans un article édifiant paru il y a 10 ans dans une revue loin d’être confidentielle, et peu susceptible d’être taxée d’autophobie : Auto-Moto (1). Cet article détaillait déjà avec une grande précision tous les types de trucages opérés.

Le principe du « trompe cycle »  est ainsi décrit : « la multitude de capteurs calculateurs installés aujourd’hui dans les voitures constituent autant d’espions électroniques facilitant les petits ajustement avec la réglementation. Capables de déterminer si le véhicule est en train de passer un cycle de dépollution ils permettent le plus simplement du monde de basculer l’électronique moteur sur le programme spécial homologation  ».

Ainsi « les capteurs d’ABS qui renseignent sur la vitesse de rotation des roues » permettent d’indiquer « que le véhicule est sur un banc ». Capteurs qui « donnent aussi des informations sur la vitesse des véhicules ». De même « le capteur de ceinture non bouclée ne détectant pas la présence d’un conducteur fait aussi l’affaire ». Ensuite, poursuit le magazine, « rien n’est plus facile que d’ajouter une ligne de programme dans le calculateur moteur avec des réglages spécifiques au cycle dépollution ». S’en suit « une petite cuisine qui consiste à enlever de l’avance à l’allumage, à mettre le ralenti très haut (…) et à appauvrir le mélange de carburant », etc etc.

Dans ce même article, un technicien spécialiste de la préparation à la dépollution suggère que les associations de consommateurs exigent « que soient imposés aux constructeurs au moins 6 profils de tests différents pour chaque cycle de dépollution afin d’empêcher le recours au trompe cycle ». Avec « un tirage au sort du cycle à l’arrivée en laboratoire ». Il suggère également que les tests soient effectués sur des voitures « prises au hasard sur les chaines de montage » et non pas « comme le plus souvent sur un prototype livré sur plateau par le constructeur. ». Une préconisation devenue caduque puisque Volkswagen aurait depuis implanté le logiciel fraudeur sur tous ses véhicules… Méthode efficace pour leurrer même les tests aléatoires, mais à l’effet boomerang dévastateur puisque des millions de véhicules doivent dorénavant être décontaminés.

« Travailler sur des logiciels afin d’optimiser les réglages du moteur en vue d’une homologation coûte beaucoup moins cher que de travailler un moteur pour le dépolluer à la source » explique enfin un spécialiste d’un constructeur. Tout est dit ! Tout était donc clairement décrit dès 2005, dans une revue certes spécialisée, mais largement diffusée ! Qui, donc, parmi les homologateurs, les experts, les constructeurs, les représentants des pouvoirs publics chargés de faire la transparence peut, de façon crédible, prétendre ne jamais en avoir entendu parler ?

Auditionné ce mardi 10 novembre à l’Assemblée Nationale, l’économiste Elie Cohen n’hésitait pas à déclarer que la Commission Européenne (a minima) était clairement complice. Mais combien d’autres ?

 

Un choc de transparence sans précédent est devenu indispensable

L’affaire Volkswagen – et les informations révélées semaine après semaine – a profondément remis en question la confiance des consommateurs vis-à-vis des constructeurs automobiles. Celle-ci ne pourra être reconquise que si une volonté de transparence sans précédent est engagée pour mettre à bas le système de mensonge et de connivence qui lie visiblement depuis longtemps contrôleurs et contrôlés.

La confiance ne pourra être retrouvée que si :

  • Toute la lumière est faite sur les responsabilités à tous niveaux, chez les industriels comme chez les contrôleurs, sur l’ampleur de la tricherie, comme sur les mécanismes mis en place pour leurrer l’opinion publique. C’est pourquoi il est incompréhensible que la demande de Commission d’enquête du groupe Vert au Parlement Européen se heurte à l’alliance des conservatismes. Les actions de groupe des consommateurs qui vont se multiplier contribueront sûrement à cette transparence. Mais les politiques doivent assumer leur rôle de contrôle de la mise en œuvre des politiques publiques.
  • Les normes d’émissions (de polluants comme de gaz à effet de serre) sont réaffirmées comme intangibles. Certes un calendrier d’adaptation raisonnable peut être concédé aux constructeurs, mais dans une durée limitée dans le temps, et dans des marges compatibles avec la santé et le climat. Et ce n’est pas à un comité Théodule européen en présence du lobby lui-même d’en décider, mais bien à aux représentants élus.
  • Les processus d’homologation et de mesures des consommations sont adaptés pour refléter les performances réelles des véhicules sur routes et sur rues. La commission mise en place par Ségolène Royal, dont je suis membre aux côtés d’autres parlementaires, d’ONG, d’associations de consommateurs, et de techniciens peut être l’occasion d’expérimenter différentes formes de tests et de proposer des préconisations que la France pourra porter au niveau européen.
  • Le contrôle est assuré de façon totalement indépendante du lobby automobile. Prenons exemple sur l’Autorité de sûreté nucléaire, pour mettre en place une Autorité indépendante européenne de lutte contre la pollution automobile, apte à contrôler les logiciels sources des véhicules et à mener des contrôles systématiques et aléatoires, et qui, en France, pourrait par exemple s’appuyer tant sur le contrôle technique obligatoire que sur les laboratoires des Associations agréées de surveillance de la qualité de l’air.

 

L’industrie automobile doit enfin prendre le virage environnemental et sortir du paradigme de « la voiture à tout faire »

Le magazine « Auto Plus » a rendu publique fin octobre une vaste enquête testant la consommation de carburant de plus de 1000 véhicules correspondant aux principaux modèles vendus en France. Les résultats de ces tests révèlent une sous-estimation massive des informations données par les constructeurs aux consommateurs. Les chiffres de consommations réelles relevés révèlent un écart abyssal, de près de 40 %. Les écarts les plus flagrants sont pointés chez les véhicules de constructeurs français Citroën, Peugeot et Renault dont « les modèles sont les plus déconnectés de la réalité allant de 50 à 65 % sur leurs derniers diesels Euro 6 ».

Au-delà de la colère légitime que peuvent ressentir les consommateurs (qui perdent ainsi près de 400€ de pouvoir d’achat par an), les malades respiratoires, et l’ensemble des victimes potentielles du dérèglement climatique (que nous sommes tous) face à la vaste escroquerie Volskwagen and co et aux chiffres d’ « Auto Plus », on doit aussi s’interroger : de quoi ces scandales à répétition sont-ils le symptôme ?

Et s’ils traduisaient surtout l’absence de volonté des constructeurs automobiles de prendre réellement le virage environnementale ? Et si tous ces trucages (logiciels, tests « optimisés », etc.) montraient surtout qu’atteindre les niveaux de performance requis par la qualité de l’air et le climat est incompatible avec le conservatisme dans lequel est engoncé le modèle automobile ?

A l’inverse, et si ces scandales à répétition pouvaient être l’élément déclencheur, l’étincelle, le point de départ d’un sursaut salvateur pour l’industrie automobile ?

Et si les constructeurs, plutôt que d’investir dans des logiciels de trucage, investissaient sur l’avenir. Celui de construire des véhicules adaptés aux besoins de nos concitoyens pour diminuer les pollutions, lutter contre le dérèglement climatique et diminuer les consommations. Cette automobile-là est possible. Comme je l’ai expliqué dans comme nous en avons fait la démonstration dans le  rapport co-élaboré avec la sénatrice Fabienne Keller pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. (2)

Il y a, je le crois sincèrement, un avenir pour une automobile écolo-compatible, pour peu qu’on ose s’affranchir du paradigme de l’automobile à tout faire : conçue pour une famille partant en vacances alors qu’elle est occupée 99% du temps par une personne seule ; conçue pour pouvoir rouler à 180 km/h (et donc avec un moteur démesurément énergivore et polluant), alors que l’essentiel des déplacements se fait à des vitesses très largement inférieures ; d’une taille inadaptée à l’usage quotidien générant encombrements et difficultés de stationnement ; consommant des énergies fossiles polluantes et épuisables, alors que l’avenir est aux carburants alternatifs renouvelables (électricité, gaz, agro-carburants de 2ème et 3ème génération) ; si onéreuse, à l’achat et à l’usage, que l’acheteur de véhicule neuf en France a un âge moyen de 54 ans !

Au-delà de l’abandon indispensable du diesel, l’automobile est à la veille d’une bien plus vaste révolution dont l’efficacité énergétique d’une part et l’automobile connectée, voire automatique, d’autre part seront les principaux déterminants. La France, dont l’industrie automobile s’est totalement effondrée au cours de la dernière décennie, selon les mots de l’économiste Elie Cohen, ne doit pas rater ce virage. L’Etat qui est actionnaire des deux constructeurs nationaux, doit y jouer son rôle d’Etat stratège. C’est en tous cas le message que je compte porter au sein de la commission que l’Assemblée Nationale vient de lancer sur la filière automobile.

Ce formidable challenge peut être quadruplement gagnant : pour l’environnement local et global ; pour le pouvoir d’achat et donc pour le droit à la mobilité ; pour l’emploi, dans une filière qui en a perdu 100 000 en 10 ans rien qu’en France ; pour l’indépendance nationale en réduisant nos importations d’énergies fossiles.

Un défi enthousiasmant, emblématique de la transition écologique.

 

(1) Article signé Katia Lefebvre et Claude Baiotti

(2) Nous y reviendrons à l’occasion de la table ronde organisée vendredi 13 novembre au Sénat, toujours dans le cadre de l’Opecst sur le thème « Etat de l’art en matière de mesure des émissions de particules et de polluants par les véhicules » en présence de constructeurs, chercheurs et de représentants de l’administration. 

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