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Médias Centrale-nucleaire-Bugey

Publié le 31 octobre, 2013

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Retraite : les travailleurs du nucléaire exclus du compte pénibilité, une double peine

LE PLUS. A partir de 2015, les salariés exposés à des facteurs de pénibilité bénéficieront d’un compte personnel de points, à convertir en formation, temps partiel ou départ anticipé à la retraite. 10 critères ont été retenus. L’exposition aux rayonnements ionisants, qui touche les travailleurs du nucléaire, n’en fait pas partie. Pour Denis Baupin, député EELV, c’est un scandale.

L’examen du projet de loi sur les retraites a été l’occasion pour les députés de débattre des « facteurs de risque professionnels » à prendre en compte dans le cadre du « compte personnel de prévention de la pénibilité » créé par la loi et prévu pour tout salarié exposé à des conditions de travail pénibles et permettant d’accumuler des points pour un départ anticipé à la retraite.

Le projet de loi renvoie au décret du 30 mars 2011 qui liste un certain nombre de facteurs de risques au titre de l’environnement physique agressif : bruit, agents chimiques dangereux, températures extrêmes, activités exercées en milieu hyperbare…

La pénibilité spécifique des travailleurs du nucléaire n’y étant pas prise en compte, j’ai déposé un amendement en ce sens.

Oui, l’exposition aux rayonnements ionisants est un danger 

Comment peut-on refuser de remédier à une discrimination dont sont victimes les travailleurs du nucléaire [1], mis à l’écart d’une disposition valable pour toutes les expositions professionnelles à des cancérogènes ?

Toutes les données épidémiologiques montrent que l’exposition aux rayonnements ionisants, même en respectant les limites des normes professionnelles, présente des risques de cancers et de leucémies supérieurs à ceux que représente l’exposition aux autres substances cancérogènes [2]. Une étude, publiée en 2005, sur les risques de cancer après exposition à de faibles doses de rayons ionisants –menée sur une cohorte de travailleurs du nucléaire dans 15 pays – montre que les salariés exposés, même à des doses inférieures à 20 millisieverts par an (soit le maximum autorisé pour les travailleurs du nucléaire), présentaient deux à trois fois plus de risques de cancer que la population non exposée.

Il y a peu, le 27 août dernier, EDF a été condamnée pour « faute inexcusable » pour avoir exposé un de ses salariés – mort depuis des suites d’un cancer broncho-pulmonaire – à des rayonnements ionisants, tout en ayant respecté la réglementation en vigueur. Ce jugement, appelé à faire jurisprudence, est très clair : tout en reconnaissant que « les mesures prises par EDF et son respect de la réglementation existant en ce domaine sont incontestables », le tribunal considère que celles-ci « ne tendent qu’à limiter le risque et ne peuvent l’exclure. »

« Bêtes à doses »

Dit autrement, quand bien même toutes les précautions seraient prises en termes de protection et de suivi des travailleurs nucléaire – ce qui reste à prouver, tout particulièrement en ce qui concerne les sous-traitants – le risque existe bel et bien.

J’ajouterai qu’aux risques inhérents à l’exposition aux rayonnements ionisants, il convient d’intégrer également au titre des facteurs de pénibilité le stress induit par le risque nucléaire – bien mis en évidence par le film « Grand Central » – tout particulièrement pour les sous-traitants.

80% des activités sur une centrale nucléaire sont menées par des sous-traitants. Ces personnels sont parfois mal formés, ont des conditions de travail très difficiles et se voient confier les tâches les plus dangereuses ; ce sont les plus exposés à l’irradiation et ceux qui connaissent de nombreuses maladies professionnelles. Sans d’ailleurs pouvoir bénéficier d’un suivi médical digne de ce nom, notammentdu fait d’un changement régulier de région et d’employeur. Le surnom dont ils s’affubleraient eux-mêmes – les « bêtes à doses » – en dit long.

« Nous réalisons 80 % des opérations de maintenance des centrales nucléaires, nous encaissons plus de 80% des irradiations, nous n’avons pas accès aux visites médicales EDF, nous sommes victimes de la majorité des accidents de travail très souvent non déclarés dans les centrales nous sommes prestataires, pas esclaves » résume ainsi l’association Ma zone contrôlée, qui tente de faire entendre la voix des sous-traitants et que je soutiens [3].

Un débat escamoté à l’Assemblée nationale

Prendre en compte la pénibilité spécifique des travailleurs du nucléaire dans la future réglementation, quoi de plus logique ? La réponse tombe jeudi 10 octobre en séance à l’Assemblée nationale : c’est non. Ou plutôt un très laconique « avis défavorable » du gouvernement, en réponse à mon amendement, qui s’est vu ainsi rejeté sans autre explication…. mais à deux voix près. Comment interpréter ce refus et surtout ce silence ?

Les rayonnements ionisants avaient déjà « miraculeusement » disparu de la liste des expositions aux cancérogènes pouvant ouvrir droit à une retraite anticipée dans la version finale du décret sur la pénibilité du 30 mars 2011, alors qu’ils y figuraient bien dans la version de décret présentée aux partenaires sociaux. Le gouvernement de l’époque les avait retiré en catimini ce qui avait conduit un syndicat (la CGT), ayant découvert le pot aux roses, à diffuser un communiqué de presse au titre évocateur « Farce ? Pour le gouvernement, l’exposition aux rayonnements ionisants n’est plus cancérogène« . Et le syndicat de pointer  fort justement la « conséquence d’un formidable lobbying exercé par les industriels du nucléaire, au moment même où le monde entier s’interroge sur la santé de ces travailleurs qui interviennent sur le site de Fukushima. »

Difficile de ne pas voir derrière ce blocage tout le poids d’un tabou savamment entretenu par l’industrie nucléaire. Évoquer les risques de la radioactivité, les conditions de travail des salariés du nucléaire, n’est pas compatible avec la vision idyllique véhiculée depuis des décennies d’un nucléaire sûr, propre, sans danger, maîtrisé.

Pour les travailleurs du nucléaire, particulièrement les sous-traitants, c’est bien la double peine qui reste en vigueur : la radioactivité et le stress, mais pas la reconnaissance de la pénibilité induite.

La retraite de milliers de personnes en dépend

L’enjeu est bien au-delà de la question (essentielle !) de la possibilité offerte – ou non – à certains travailleurs d’un départ anticipé à la retraite. Cette omerta est lourde de conséquence pour la santé et la survie de plusieurs milliers de personnes. Que l’on soit pour ou contre le nucléaire, on ne peut indéfiniment faire fi de la réalité et banaliser à ce point l’atome, au nom de la sacro-sainte image de l’industrie nucléaire.

C’est parce que je ne peux m’y résoudre que j’ai interpellé cette semaine, par une question écrite, la ministre des Affaires Sociales et de la Santé pour qu’elle dise très clairement s’il est bien dans l’intention du gouvernement d’intégrer dans la liste des facteurs de risques professionnels l’exposition aux rayonnements ionisants auxquels les salariés du nucléaire sont exposés et si tel n’était pas le cas d’en expliquer les raisons. A suivre.

[1] 320.000 salariés en France sont exposés aux rayonnements ionisants, dans l’industrie nucléaire, mais aussi dans l’industrie non nucléaire et dans le secteur médical.

[2] Voir http://www.inrs.fr/accueil/risques/phenomene-physique/rayonnement-ionisant.html ;

http://www.asso-henri-pezerat.org/wp-content/uploads/2012/03/A_Thebaud-Mony_Nucl%C3%A9aire_colloqueBruxelles_2mars2012.pdf (page 5);

http://www.terraeco.net/Quels-risques-pour-les,16396.html

[3] Site de l’association Ma zone contrôlée. A voir également, le site de l’association Santé sous-traitance Nucléaire-Chimie.

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