Tout va bien. Il n’y a aucun mécanisme de fraude chez Renault, a martelé lundi soir la ministre Ségolène Royal. Nous respectons la législation, nos véhicules sont parfaitement conformes à la législation, se sont défendus les responsables de Renault, qui pagayent dur pour ne pas se laisser entraîner dans le tourbillon Volkswagen. Et c’est vrai. Certains des modèles les plus récents de la marque au losange émettent, en conditions réelles de conduite, entre 9 et 18 fois plus de polluants que ce qu’autorisent les normes. Mais il n’y a rien d’illégal, tout le monde peut respirer. Etrange.
Lundi soir, deux responsables du constructeur automobile français ont été invités à venir s’expliquer devant la commission technique indépendante mise en place par Ségolène Royal, la ministre du Développement durable, dans le sillage de l’affaire Volkswagen. Existe-t-il des logiciels truqueurs chez les autres marques qui vendent des véhicules en France ? Telle était la mission de la commission. Une centaine de modèles ont été testés au total. Et sur les 22 véhicules passés entre les mains des experts de l’Utac, l’organisme certificateur français, aucun logiciel de triche n’a été détecté, à l’exception des deux modèles Volkswagen déjà incriminés. Mais lors ces tests, réalisés notamment en condition routière, proche de l’usage qu’en fait le conducteur classique, des anomalies sont apparues. Notamment chez Renault, avec des taux d’émission d’oxydes d’azote très largement supérieurs aux 80 mg/km autorisés pour les modèles Captur mis sur le marché le 1er septembre 2015.
Perquisitions. «C’est chez Renault et Mercedes qu’ont été observés les plus forts dépassements», rapporte une des membres de la commission, composée d’élus, d’associatifs et d’experts. Mais des modèles Ford et Opel sont aussi dans le collimateur. Ces mauvais résultats ont été dévoilés jeudi, le jour où la presse apprenait, par la CGT, que les services de répression des fraudes (DGCCRF) avaient, la semaine précédente, perquisitionné plusieurs sites du constructeur français. Saisies d’ordinateurs d’un côté, dépassements de normes révélés de l’autre… Les services gouvernementaux refusent officiellement de faire le lien entre les deux événements. Difficile à croire : la DGCCRF est membre de la commission «Royal» et a accès aux données. C’est pour éclairer la lanterne des membres de cette commission que Thierry Bolloré, directeur délégué à la compétitivité de Renault, et Gaspar Gascon Abellan, directeur de l’ingénierie, sont venus expliquer cette différence entre les résultats affichés après l’homologation et les taux obtenus lors de tests en conditions réelles. «Une explication très technique, ils sont allés très, très vite, aucun support ne nous a été fourni», déplore Charlotte Lepitre, de l’association France Nature et Environnement. Les deux représentants de Renault ont expliqué que le constructeur associe deux dispositifs destinés à réduire les émissions d’oxydes d’azote, l’EGR et le NOx Trap (piège à NOx). Le premier – et le principal – est une vanne qui réinjecte en partie des gaz d’échappement dans le moteur, ce qui a notamment pour effet de diminuer le taux d’oxygène dans la chambre à combustion du moteur et de réduire ainsi la production de NOx. Or, de l’aveu des représentants de Renault, leur EGR a été optimisé pour fonctionner quand la température de l’air se situe entre 17° C et 35° C. «Ça veut dire que les trois quarts du temps, le système ne fonctionne pas ! s’alarme le député Denis Baupin, autre membre de la commission. Autour de la table, on était plusieurs à être sortis estomaqués par l’ampleur du problème.»
«Automne». La faible efficacité de l’EGR est de fait dénoncée depuis plusieurs années. «On sait qu’au-dessus d’une certaine température de fonctionnement, cette vanne se déconnecte et ne remplit plus son rôle. Et en matière de mécanique, les 30 ou 35° C sont très vite atteints, explique Didier Laurent, consultant pour l’Argus. On le sait pour Renault, mais aussi pour toutes les marques qui utilisent ce système.» Quant à la limite inférieure, l’Utac a effectué un des tests en extérieur, alors que la température était de 14° C. «Ce n’est pas de chance pour Renault que ces essais aient été effectués en automne», s’amuse un des participants. Renault a précisé qu’il pourrait élargir la plage d’optimisation de l’EGR au-delà des 35° C et en dessous des 17° C… mais qu’il ne le fait pas pour ne pas nuire aux performances de ses modèles. Les constructeurs sont en effet confrontés à ce vieux problème : les systèmes de dépollution embarqués, surtout l’EGR, entraînent des risques mécaniques, voire des avaries. Or, Renault s’appuie sur une clause de la directive européenne de 2007, qui l’autorise à brider ses systèmes de dépollution si ce bridage «se justifie en termes de protection du moteur contre des dégâts ou un accident et pour le fonctionnement en toute sécurité du véhicule» . «On se demande si cette clause n’a pas été écrite par les constructeurs eux-mêmes», ironise Charlotte Lepitre.
Renault aurait également pu adopter un autre modèle de dépollution, ce qu’il ne fait pas pour au moins deux raisons : l’EGR présente l’avantage d’être peu onéreux. «Tout le monde sait faire une bagnole qui respecte toutes les normes que l’on veut, mais personne ne sait le faire à un prix que le client est prêt à accepter», lance Didier Laurent. Deuxième raison, il n’a pas besoin de changer de système. Renault n’a de cesse de le rappeler : ses modèles, y compris ceux stigmatisés par les derniers tests, sont conformes à la législation. Le protocole d’homologation européen actuel, entré en vigueur en 1973, est complètement obsolète. Les constructeurs savent parfaitement utiliser les failles. «Renault a joué avec la règle du jeu, mais il n’y a pas de triche en soi», explique Pierre Chasseray, délégué général de l’association 40 Millions d’automobilistes et également membre de la commission. Un exemple : les tests sont réalisés à la température ambiante de 29° C. Pile poil ce qu’il faut pour l’EGR de Renault ! Thierry Bolloré a eu cette phrase, mardi matin, qui résume tout : «Tous les véhicules ont un écart. Quand on est en conditions réelles, il n’y a pas de normes.»
«Plan technique». Des changements sont malgré tout annoncés : Renault avait déjà repéré un problème technique sur les pièges à NOx, et 15 000 véhicules vont être rappelés. Le constructeur présentera aussi, fin mars, un «plan technique» pour améliorer les systèmes de dépollution de ses moteurs diesels, à partir de juillet. «Il y aura une proposition aux clients, mais pas de rappel puisque les véhicules sont conformes». Environ 700 000 véhicules sont potentiellement concernés. Mais il n’est pas sûr que les clients répondent massivement à la proposition, surtout si ce recalibrage nuit aux performances du moteur. «Je n’ai jamais vu un client se renseigner sur les rejets d’oxyde d’azote avant d’acheter une voiture, s’amuse Pierre Chasseray. Et même s’il posait la question, le concessionnaire ne le saurait pas.»