NouvelObs – 29 mars 2012
Ce jeudi encore, un nouveau pic de pollution est enregistré en Ile-de-France. Parmi les fautifs : le moteur diesel. Débat entre un pro et un anti-voiture, Bernard Darniche et Denis Baupin.
Le seuil d’information et de recommandation pour les particules fines, émises notamment par les véhicules diesel, est une fois de plus atteint dans l’agglomération parisienne ce jeudi 29 mars, selon l’association de surveillance de la qualité de l’air Airparif. C’est la 27e fois depuis le début de l’année que ce niveau, qui s’accompagne de recommandations pour les personnes vulnérables, est atteint.
Le « seuil d’alerte », au-delà duquel une exposition de courte durée présente un risque pour la santé, a quant à lui été dépassé le week-end dernier en Ile-de-France, pour la quatrième fois depuis le début de l’année. Il a entraîné des mesures de réduction de la vitesse maximale autorisée.
« Réagir c’est bien, anticiper serait encore mieux », a souligné dès le 24 mars Denis Baupin, maire-adjoint EELV de Paris en charge de l’Environnement. Pour imaginer l’avenir, il s’entretient avec l’ancien champion de rallye Bernard Darniche.
Le prix de l’essence flambe, le diesel pollue, mais la voiture électrique n’a toujours pas fait ses preuves…
Denis Baupin – Elle fonctionne bien pour les pour les flottes captives, d’entreprises. Pas pour les usages individuels.
Bernard Darniche – Pendant deux ans, Jean-Louis Borloo, qui avait besoin de communiquer, nous a fait croire qu’on pourrait tous rapidement rouler en électrique. Mais il y a trop de limites techniques non résolues : sur les batteries, sur le poids des voitures… Il a pris le risque de créer une déception terrifiante.
Pour ma part, comme je n’ai pas envie de tomber en panne, j’ai roule en Opel Ampera (General Motors) : une voiture à propulsion uniquement électrique, mais qui embarque un petit générateur thermique pour produire de l’électricité. Il permet de gagner 500 km supplémentaires d’autonomie en consommant très peu. Et comme je ne trouve aucune borne de rechargement, je l’utilise beaucoup !
D’autant plus que cette voiture a théoriquement 80 km d’autonomie, mais seulement 40 km en réalité. Par grand froid, je perds 35% ! Sans compter le chauffage, les essuie-glaces… La deuxième génération de générateurs d’appoint est déjà en préparation, avec des petites turbines à gaz encore plus économes.
Rouler au gaz, vous y croyez ?
B. Darniche – On en est encore loin. Pendant sept ans, j’ai été l’ambassadeur pour Gaz de France de l’arrivée du gaz naturel comme énergie automobile. J’imaginais un remplissage à domicile, une forte réduction de la consommation, des prix, des coûts de distribution… Je n’avais pas compris que ce n’était pas du tout la priorité de GDF !
Ils s’occupent des gazinières, des chaudières, sans chercher à aller dans le bon sens dans le secteur automobile. Et il n’y a pas de gouvernance pour leur dire de le faire. Au moment du Grenelle de l’environnement, alors que je me croyais sur un boulevard, GDF a décidé de tout arrêter.
D. Baupin – Ils commencent à bouger. L’utilisation du gaz dans l’automobile est d’autant plus pertinente qu’on sait faire du gaz renouvelable, c’est-à-dire un gaz naturel produit à partir de la décomposition de déchets, et qu’on transforme pour aboutir à des carburants automobile. Ce biogaz émet peu de particules fines. Tous les pays s’y intéressent.
B. Darniche – Il n’y a qu’en France qu’on roule à 80% au gasoil ! A Tokyo, tout est blanc, nacré… Parce qu’il n’y a pas de véhicule diesel ! J’ai demandé au chairman de Toyota, Fujio Cho, pourquoi il fabriquait des véhicules diesel. Réponse : « On en fabrique, vous en achetez… »! On parle de particules fines pour ne pas faire peur. Mais on pourrait parler de suie noire diesel.
D. Baupin – Les Verts pointent depuis longtemps le problème de la pollution aux particules fines. Une catastrophe environnementale et sanitaire : 40.000 personnes en meurent chaque année prématurément en France. Ceux qui vivent à Paris auront six mois de durée de vie en moins. Parce que la fiscalité a favorisé pendant des décennies le diesel.
Peut-on vraiment réduire le diesel ?
D. Baupin – Il faut gérer la transition, c’est le plus difficile. Il faut supprimer les avantages fiscaux du gazole pour inciter à la mutation. Et il faudra, c’est certain, gérer les conséquences sociales, ce qui est toujours le plus compliqué. Voyez avec la mise en place des Zones d’action prioritaires pour l’air(ZAPA). Comment faire ? Il s’agit d’instaurer un système de pastilles sur les véhicules diesel, les autorisant ou non à circuler en ville. Mais ce système se superpose à un autre, de bonus-malus sur les émissions de gaz à effet de serre (GES).
Ce n’est pas cohérent. Il faut introduire les particules fines dans le bonus-malus et les GES dans les vignettes ! Sans quoi on risque d’avoir une double catégorisation et des choses inacceptables pour la population, comme l’interdiction à Paris des vieilles voitures de banlieue mais l’autorisation des 4X4 !
Malheureusement, on se retrouve face à des technocrates qui y voient deux sujets différents. Et ne pensent pas aux contreparties : plus de transports collectifs, des lignes de bus express sur l’A86, des dérogations pendant quelques années pour les voitures avec trois passagers…
Les normes européennes sur les voitures ont quand même eu des effets positifs…
D. Baupin – Depuis vingt ans, on a certes diminué la consommation de carburant mais en même temps, les voitures sont de plus en plus lourdes, de plus en plus équipées en électronique…
B. Darniche – Elles sont plus protectrices pour les individus. Mais un véhicule de ville a-t-il besoin des mêmes règles qu’un véhicule de route ?
D. Baupin – Les nouveaux modèles protègent ceux qui sont dedans mais beaucoup moins ceux qui sont à l’extérieur ! Et plus on construit des véhicules qui vont vite, plus il faut des équipements de sécurité pour absorber les chocs à cette vitesse. Faut-il rouler à 130 km/h quand le prix du pétrole augmente, ou faut-il accepter de se déplacer moins vite ? On pourrait concevoir des véhicules pour la ville plus petits, plus légers, qui roulent à 60 km/h… Notre système amène à construire des véhicules inadaptés aux besoins des automobilistes.