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Publié le 7 décembre, 2006

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Paris-Obs : Péage urbain : Pourquoi c’est inévitable

«0ui au péage … mais sur les voies rapides! »

C'est une bombe. Bravant tous les tabous, la Direction régionale de l'équipement, c'est-à-dire l'Etat, suggère la création d'un péage sur les autoroutes urbaines à proximité de Paris (1). D'abord pour pallier le dramatique sous-financement des transports en commun – principe du pollueur payeur – pour cause de … désengagement de l'Etat. Ensuite pour dissuader l'utilisation de la voiture dans les axes où les transports collectifs sont performants.

Lisez cet échange nourri entre Francis Rol-Tanguy, le directeur régional de l'Equipement, et Denis Baupin, adjoint Vert aux transports de Bertrand Delanoë.

ParisObs Denis Baupin, vous vous êtes toujours opposé à l'idée d'un péage autour de Paris. Comment avez-vous réagi en découvrant la proposition de la Direction de l'équipement?

Denis Baupin Je suis opposé à un péage de type londonien, ce cordon autour de la ville qui discrimine les habitants de l'extérieur. En revanche, je suis évidemment d'accord avec l'application du principe pollueur-payeur pour financer les transports en commun! Rendre payant l'accès aux voies rapides urbaines et aux autoroutes, ainsi qu'évoqué par la Direction de l'équipement, ça, c'est une piste intéressante à étudier. Ce n'est pas un dispositif discriminant, ce n'est pas de la ségrégation territoriale. Et cela pourrait permettre de faire face à nos besoins financiers, considérables. Aujourd'hui, les pouvoirs publics investissent 100 euros par an et par habitant pour les transports collectifs franciliens, quand Londres et Madrid en dépensent 400. Sans un plan Marshall pour les transports, on va droit dans le mur sur le dérèglement climatique, la crise pétrolière, la pollution de l'air ou la desserte des quartiers sensibles touchés par les révoltes urbaines.

Francis Roi-Tanguy L'Île-de- France, pour maintenir son attractivité économique et pour améliorer la qualité de l'air, doit réduire la congestion sur les voies rapides urbaines et faciliter ainsi les déplacements. Le maillage autoroutier en Île-de- France n'a pas d'équivalent en Europe. La proposition de faire payer l'usage de ces voies rapides est liée à la qualité de service rendue par ces grandes infrastructures, incontestablement supérieures à celle des voiries « classiques ». Nous avons calculé qu'en taxant les seuls poids lourds qui circulent sur le périphérique, l'A86 et les autoroutes radiales comprises entre ces voies (Al, A3, A4, A6, 13… ) – et en se basant sur le système allemand qui consiste à taxer (12 à 15 centimes) le kilomètre parcouru – on pourrait générer une recette annuelle de l'ordre de 300 millions d'euros ! Si on étendait ce péage à tous les automobilistes circulant dans cette zone, même avec un tarif cinq fois moindre, on obtiendrait une recette supplémentaire du même ordre. Ce n'est pas rien. Le manque à gagner est aujourd'hui colossal. Un recensement récent des besoins en investissements pour les infrastructures routières nationales montre un besoin de financement de l'ordre de 4 à 5 milliards d'euros ! Or l'Etat et la Région Île-de-France ont dépensé ces dernières années, investissement, de l'ordre de 200 millions d'euros par an. De même pour les transports collectifs, pour lesquels le contrat de plan 2000-2006 a prévu d'investir environ 3 milliards d'euros, alors que le coût de l'ensemble des projets inscrits avoisine les 7 milliards d'euros. Bref, on a besoin d'argent.

Denis Baupin Et si, du même coup, on incite les transporteurs à moins utiliser la route, si on favorise le fret par voie d'eau ou chemin de fer, on est doublement gagnant.

ParisObs Quel système pourrait être utilisé pour la mise en place de ce péage sur les voies rapides situées entre l'A86 et le périphérique ?

Francis Rol-Tanguy Imaginons, par exemple, que les automobilistes disposent d'une carte « multimodale » : une vignette couplée avec la carte Orange. Elle leur donnerait accès à la fois aux transports en commun et aux autoroutes de la zone sous péage. L'automobiliste pourrait utiliser gratuitement son véhicule sur les trajets où une offre concurrente en transports collectifs n'est pas disponible. Ainsi, ce type de carte l'inciterait à abandonner l'usage de sa voiture avant d'entrer dans la zone à péage, pour utiliser, à l'intérieur de celle-ci, les transports en commun. Quant à la reconnaissance des véhicules qui ont payé leur écot, nul besoin d'installer des barrières comme sur les autoroutes. Aujourd'hui, toutes les voies rapides franciliennes sont câblées de fibres optiques, pour évaluer le trafic et en informer les usagers. On peut utiliser ce câblage pour l'identification des véhicules en les équipant, simplement, de boîtiers adaptés

Denis Baupin J'ajoute que ces nouvelles technologies devraient permettre de moduler le tarif en fonction du niveau de pollution du véhicule. En revanche, nous avons un point de désaccord. Les recettes nouvelles qui seraient créées ne doivent pas légitimer un retrait de l'Etat. J'ai beau être un décentralisateur, je trouve que l'Etat – qui a signé les accords de Kyoto – ne peut pas raisonnablement abandonner le financement des transports collectifs. Vous nous parlez péage urbain pour mieux vous désengager. ..

Francis Rol-Tanguy Attendez, l'Île-de-France touche de l'Etat, pour les transports en commun, plus que la totalité de ce qui est donné à toutes les autres régions! C'est vrai que cela reste malgré tout insuffisant. Mais on ne pourra pas donner toujours plus. Le péage est l'une des solutions. L'Etat, l'immanence, le Bon Dieu,c'est sympa, mais il faut savoir innover.

ParisObs Qui prendrait la décision de mettre en place ce péage?

Denis Baupin Paris a une caractéristique handicapante :pour des raisons historiques, il n'y a pas d'intercommunalité, contrairement aux grandes villes/de province et aux capitales européennes. La Conférence métropolitaine (2) nous permet maintenant de débattre, mais il n'y a pas encore de lieu où peuvent être prises des décisions qui concernent Paris et la petite couronne qu'on dénomme désormais la « zone dense », le coeur d'agglomération.

Francis Rol-Tanguy Il y a une autre solution. Le Stif (lire l'encadré de la page 13), pour l'heure, ne s'occupe que des transports en commun. Pourquoi ne pas en faire une autorité organisatrice de tous les déplacements, y compris les déplacements routiers? Cela lui permettrait de toucher les recettes du péage, du stationnement, et de les affecter aux transports publics.

ParisObs Francis RoI-Tanguy, comment jugez-vous la politique de restriction de la circulation menée par Denis Baupin à Paris? Est-ce une forme de péage dissimulé?

Francis Rol-Tanguy Paris a fourni un véritable effort sur le partage de la voirie en faveur des piétons, vélos, bus. Il met en oeuvre les dispositions du plan de déplacements urbains lancé par l'Etat. Mais la baisse de la congestion dans la ville est insuffisante. Il faut jouer sur d'autres leviers, comme le stationnement. Le Parisien qui gare sa voiture dans sa rue ne débourse que 10 euros par mois ! Ce n'est pas assez dissuasif. Un box, dans un parking souterrain, c'est dix fois plus cher. .. Du coup, le Parisien est tenté de laisser sa voiture en ventouse, sans l'utiliser.

Denis Baupin Mais c'est précisément l'idée! S'il utilise les transports en commun, il pollue moins … Je vous fais remarquer que 75000 automobilistes parisiens déclarent utiliser moins voiture grâce à la mise en place du tarif résidentiel.

Francis Roi-Tanguy Mais ils pénalisent les habitants de banlieue contraints d'utiliser leur voiture et qui ne trouvent jamais de places dans la capitale. Le Parisien devrait payer davantage son stationnement résidentiel. Cela fournirait une ressource supplémentaire pour l'amélioration des transports! Et pourrait dissuader davantage de Parisiens d'avoir une voiture …

Denis Baupin Mais c'est vous, l'ayatollah antivoitures (rires) ! Si nous avons divisé par cinq le tarif résidentiel, c'est pour dissuader les automobilistes de prendre leur voiture pour aller au bureau, où le stationnement, trop souvent, leur est proposé gratuitement. Non, la première condition pour un stationnement qui fonctionne bien, c'est d'en finir avec la fraude. 60 à 70% des voitures stationnées fraudent, et bloquent les places. La préfecture de police et les amendes ne sont pas assez dissuasives.

ParisObs Il y a des discussions entre la Région et la Ville de Paris sur la question du « Métrophérique », ce projet de rocade métro autour de Paris pour aller de banlieue à banlieue. Vous, à l'Equipement, quel est votre point de vue ?

Francis Rol-Tanguy Je suis favorable à cette idée. Elle était déjà présente sous l'appellation d'« Orbital» dans le Sdrif (lire l'encadré page 13) de 1994. Mais il ne faut pas que cette rocade soit trop proche du périphérique, ni trop éloignée en grande couronne. Je la vois plutôt reliée aux terminus de métro, un peu au-dessus de l'A86. Auparavant, et d'ici sa construction qui prendra quelques années, il faut exploiter au mieux les lignes RER existantes ! Dans notre contribution au schéma directeur, nous plaidons pour une qualité de service des RER comparable à celle du métro parisien: sur le plan de la régularité, des voies dédiées à chaque ligne, etc. Dans les années 70, on a dit aux Franciliens qu'on leur construisait un « Réseau Express Régional », et dans certaines gares, il ne passe que deux trains à l'heure …

Denis Baupin Notre discussion reflète le très fort niveau de consensus de tous ceux qui réfléchissent à ces questions. On est d'accord sur le constat, on est globalement d'accord sur le renforcement de transports collectifs. C'est pour cela qu'il est urgent de trouver des financements. Pour en finir avec la gestion de la pénurie, pour cesser d'opposer des projets qui sont tous nécessaires.

Recueilli par Guillaume Malaurie et Emmanuelle Walter

(1) « Les déplacements en Île-de-France. 12 propositions de la Dreif. Contribution au débat sur la révision du schéma directeur de la région Île-de-France ». Fiches de synthèse consultables sur www. ile-de-france .equ ipement.gouv. fr
(2) La Conférence métropolitaine a été mise en place par Bertrand Delanoë et son adjoint communiste Pierre Mansat. Elle regroupe Paris et les communes limitrophes et n'a pas de rôle exécutif


PAS D'ACCORD

Pierre Simon, président , de la chambre de commerce et d'industrie de Paris.
«La circulation parisienne pose des problèmes complexes. Il ne faut avoir aucune position idéologique. Chaque proposition mérite d'être analysée. C'est le cas du péage urbain, auquel certaines grandes capitales européennes ont recours. Mais la CCIP sera toujours opposée aux mesures freinant l'activité économique et à une taxation qui s'appliquerait à des entreprises de transport routier qui n'ont pas d'autres solutions. Cela serait une entrave majeure à leur activité. Prenons plutôt des mesures incitatives pour développer le transport multimodal.

D'ACCORD

Mathias Reymond, docteur en économie et spécialiste des péages urbains.
"C'est une bonne idée de tarifer les voiries encombrées. A deux conditions expresses. Un péage doit s'accompagner d'un développement des transports en commun et du covoiturage. Ensuite, le tarif doit varier dans la journée, être plus bas aux heures creuses. A cet égard, le péage de Singapour (lire p. 22) est un modèle: gratuité dès 11 h du matin et transports collectifs performants. Quant à l'aspect socialement inégalitaire du péage, on la corrige en rendant la ville-centre plus accessible, grâce à des transports plus efficaces."

Jean-Claude Boucherat, Président du conseil économique et social (CESR) d'Ile-de-France, et Francis Clinckx, membre de la commission transports.
" Nous avions évoqué la possibilité d'un péage dès 2003. Les recettes peuvent aussi permettre d'achever les infrastructures routières nécessaires à l'attractivité de la région. Faire payer la Francilienne pour financer sa prolongation, ce n'est pas absurde! Les besoins sont gigantesques … "

Bernard Gauducheau, maire UDFde Vanves.
"Le 21 décembre prochain, la Conférence métropolitaine (lire ci-contre) fera des propositions de type péage urbain. C'est un dossier majeur, sur lequel je sens un début de consensus parmi les maires. Je suis favorable à la taxation des poids lourds sur voies rapides, qui inciterait les transporteurs à recourir au fret fluvial ou ferré, mais plus réservé sur une taxation des automobilistes."

Recueilli par E.W.

GLOSSAIRE

La Dreif  (Direction régionale de l'équipement en 1Ie-de-Frànce)sous la tutelle de l'Etat (ministère de l'Equ~ pement), est chargée des politiques d'aménagement et d'équipement dans la région, et de la construction des ouvrages neufs (bouclage de l'A86 par exemple).

La Dirif (Direction interdépartementale des routes d'Ile-de-France) qui vient de se créer, exploite le réseau d'autoroutes et des quelques routes nationales appartenant encore à l'Etat. Les autres voies routes départementales et nationales incombent désormais aux conseils généraux.

Le Stif (Syndicat des transports d'Ile-de- France ,autorité organisatrice des transports publics de Paris et de sa région. coordonne les transports publics franciliens et impulse les nouveaux projets (tramways, rocade métro). Depuis mars 2006. il est présidé par le socialiste Jean-Paul Huchon, président du conseil régional.

Le Sdrif (schéma directeur de la Région 1Ie-de-France). rédigé par le conseil régional avec la participation des conseils généraux et des villes, planifie pour les quinze à vingt années à venir les besoins en routes, logements, transports, bureaux et environnement. Le dernier Sdrif date de 1994. Le prochain axé sur le développement des transports en commun et la réduction des inégalités territoriales sera adopté fin 2007.

Le contrat de projet. ex-contrat de plan Etat-Région, fixe le partenariat financier entre l'Etat et la Région pour les grands chantiers d'avenir: transports. universités. logements. etc. Le contrat de projet 2007- 2013 sera voté en février 2007.

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