Publié le 22 février, 2007
0PARIS OBS : L’homme qui a déclaré la guerre aux voitures
Son permis de conduire, il l’a passé en Belgique. Mais il n’a vraiment tenu un volant qu’une vingtaine de fois dans sa vie. Dernier souvenir, l’été dernier : « Trois heures de nuit sur l’autoroute, à 130 km/h, raconte Denis Baupin. J’ai eu du mal à trouver les vitesses. » A 44 ans, le promoteur des couloirs de bus à 4,50 m, des espaces civilisés et autres quartiers verts ne rate pas une occasion de proclamer son allergie à la voiture. Une machine infernale : l’auto, assène-t-il, c’est une tonne d’acier qui pollue. « Moi, je me déplace dans une voiture à 100 places… ça s’appelle un métro. » La dialectique de la poussette et des transports collectifs n’a jamais été pour lui une question. Baupin n’a pas d’enfant. Pas encore.
L’adjoint aux transports de Bertrand Delanoë, profil Tintin, houppette blonde, yeux bleus et visage gamin, ne compte plus les lettres de menaces ou d’insultes d’automobilistes. « Il y a une maladie grave, c’est l’écolo-bobo-baupinite, affirmait Patrick Moreau, à la tête d’une association de commerçants à l’époque des travaux boulevard du Montparnasse.
Il ne compte plus les menaces, les insultes
C’est comme un chien qui a la rage et vous lèche les oreilles : six mois après, vous mourez. » « Il est fou furieux », lance le nouveau directeur de « France Soir » Dominique Jamet, qui a désormais le plus grand mal à se déplacer avec sa fille handicapée. Le journaliste Philippe Tesson, lors de l’enregistrement d’une émission télé, aurait même souhaité voir Baupin passer de vie à trépas. « La prison seulement », relativisait Pierre Bénichou. Réplique de Baupin : « Pour eux, je touche quelque chose de plus profond que leur mode de déplacement. C’est leur place même dans la société. »
Depuis six ans, Baupin suit sa boussole. Il veut, et l’opinion le suit, une cité moins polluée. Coûte que coûte. Même si on ne sait plus toujours très bien de quelle ville il parle. Celle qui produit et qui commerce ? Ou un centre historique résidentialo-touristique ? Reste que cet acharnement à prendre la fatalité par les cornes en impose. Baupin sait transiger au long d’innombrables réunions de quartier marathon sans rien céder sur l’essentiel. Il fait ce qu’il dit, tient ses promesses et son tramway dans les temps. D’ailleurs, les sondages d’opinion, tous sans exception, témoignent d’un appui sans faille d’une majorité de Parisiens à sa politique. Du coup, Baupin s’est taillé un costume de patron dans son propre camp. Il est le premier élu Vert à engager une révolution des déplacements dans une métropole mondiale. Et il pourrait être intronisé candidat écolo contre Delanoë pour 2008. Lui-même se ver rait bien ministre des Transports dans un gouvernement de gauche. Michel Charzat, maire PS du 20 e , ironise : « Un très bon technicien, sûrement. Il ferait un excellent secrétaire d’Etat aux voies navigables… »
Dominique Voynet : son coach, sa confidente
Quand Baupin adhère aux Verts à Saint-Denis en janvier 1989, une carrière politique ne l’intéresse guère. Il est alors expert ès tiers-mondisme à la tête de l’association Terre des Hommes. Très vite, cet ingénieur de Centrale est repéré pour ses qualités de technocrate. A Bruxelles, il devient collaborateur des quatre députés du groupe Verts au Parlement européen. Il a 27 ans. Dominique Voynet devient à la fois sa patronne, sa marraine et son coach. Sa confidente aussi. Un long maternage. Pendant près de huit ans, Baupin lui sert d’« homme de main ». A Bruxelles, elle est secrétaire générale du groupe, lui prépare amendements et résolutions d’urgence. A Paris, elle est porte-parole nationale, lui son assistant, chargé des « campagnes et actions. » Au ministère de l’Environnement dans le gouvernement Jospin en 1997, elle est ministre, lui conseiller. « J’étais un salarié dans un coin. J’écrivais plutôt bien les discours, elle les disait à sa façon… » Puis c’est la rupture. L’émancipation. En 1998, le « petit Denis » devient Baupin. Il quitte le cabinet. Le voilà porte-parole du parti : « Je ne voulais plus être un petit porteur d’eau, j’en avais marre des caprices de diva. » Voynet n’en revient pas. « On lui a dit : tu es fou ! Tu es trop fragile, pas assez convaincant, se souvient-elle. Mais il avait soif de lumière. »
Fin des années 80, il scrute le tramway… de Bâle
Elu pour la première fois à Paris en 1995, à 33 ans, conseiller d’arrondissement dans le 20 e , il est simple « délégué au réseau vert » du maire socialiste de l’arrondissement. « A l’époque, sa présence n’était pas franchement irradiante, s’amuse Michel Charzat. J’avais même oublié qu’il avait été élu… » Baupin, en 2001, n’a pas non plus la cote dans son camp : « Il sortait du cabinet de Voynet au ministère de l’Environnement qui n’avait pas brillé par sa pugnacité envers les socialistes, rappelle l’un de ses proches aujourd’hui. Il était “PSisé” au possible. » Candidat pour mener la liste des Verts Paris en 2001, il ne passe pas le premier tour. « J’avais été prédésigné par Voynet. Je n’ai pas fait campagne, c’était une erreur. »
Jusqu’à la conquête de Paris par la majorité rose verte, l’appétence de Baupin pour les transports reste imperceptible. Olivier Ferri, un ami, et élève comme lui à Centrale, se souvient des années campus : « Etudiant, au début des années 80, il se passionnait surtout pour le tiers-monde et la non-violence. » A cette époque, les deux copains vont régulièrement en stage dans le Larzac pour se former « aux actions pacifistes et aux relations Nord-Sud ». Un petit indice tout de même : « Quand Denis est venu nous voir, ma femme et moi en Alsace à la fin des années 80, il avait voulu aller à Bâle faire des photos du tramway… »
Un big bang à la hache, sans états d’âme
Ce n’est qu’à l’approche des municipales de 2001 que Baupin trouve sa vocation. Il rédige le programme des Verts Paris au titre explicite : « Dépassons l’automobile ». Juste après la victoire, Delanoë, convaincu de longue date de l’impératif environnemental, lui confie, sans bien s’en apercevoir, un pouvoir considérable. En lui offrant la compétence transports mais aussi la force de frappe administrative : la Direction de la voirie et des déplacements (DVD), émancipée de la tutelle de l’Etat en 2002. Levier de choc mais à spectre limité. Car Baupin ne peut agir en direct ni s ur les taxis (gérés par la préfecture de police) ni sur les métros ou les bus qui sont l’apanage de la RATP. Et dont le financement dépend encore du Syndicat des transports d’Ile-de-France, aux mains du préfet de Région. Restent les rues, les avenues, les carrefours… Et encore pas tous : nombre d’axes stratégiques relèvent encore aujourd’hui de l’auto rité du préfet de Pa ris.
C’est donc sur le macadam qui lui reste que Baupin joue son va-tout. Faute de pouvoir impulser une nouvelle offre en transports collectifs, il décide de stranguler la circulation automobile pour rendre irrésistible la demande de bus et de métro. Six ans après, avec les ouvertures de bus le dimanche et du métro la nuit du week-end, c’était finalement pas si mal vu. « De mon passage au cabinet de Dominique Voynet, dit-il, j’ai compris qu’il fallait faire des choses visibles et irréversibles pour que l’opinion publique identifie clairement une politique. »
Mais ce fut un big bang à la hache, à la pelleteuse, et sans le moindre état d’âme. A commencer par les couloirs pour bus rapides, les Mobiliens, surnommés un temps « métros de surface ». Une formule ridicule rangée aux oubliettes. « C’est vrai qu’on traçait alors des lignes droites idéales, reconnaît aujourd’hui Baupin. On avait juste sous-estimé la complexité des perturbations des carrefours et des livraisons… » Ainsi va Baupin l’ingénieur : il a une vision panoptique de la ville, où chacun doit emprunter un tuyau désigné. Mais peut-on figer les usages d’une métropole dans des règles de plomb ? Sans souplesse, sans zones grises, sans la déraison de ses habitants, une ville est-elle encore une ville ? Or, dans le rétroviseur de Baupin, ceux qui sont captifs de la voiture n’ont pas droit de cité. Il se refuse longtemps à estimer le nombre de ces minoritaires. Ça l’ennuie ou l’agace, cette question. Tant pis pour les livreurs, les commerçants, les familles avec enfants, les personnes âgées, ceux qui ont de l’arthrose, qui travaillent ou habitent en banlieue, loin de tout RER, ceux qui déplacent des objets encombrants par nécessité professionnelle. Les artisans par exemple. Alors que « ParisObs » l’interrogeait au début de son mandat sur l’opportunité de délivrer une carte de stationnement aux plombiers installés au-delà du périf, il s’emportait : « Pas choquant d’un point de vue environnemental de ne pas inciter les artisans de banlieue à venir dans Paris. » « Denis a les défauts de l’ingénieur, reconnaît un élu Vert. Il n’intègre pas les paramètres affectifs et humains. » « Il a une culture technicienne, préfectorale de la ville qui administre de manière impeccable mais sans tenir compte de la réalité du terrain », renchérit Michel Charzat. Jean-François Legaret, maire UMP du 1 er arrondissement, enfonce le clou : « C’est un doctrinaire étroit parti d’un préjugé de classe : l’automobiliste est un bourgeois. »
Peut-être. Mais aujourd’hui, de quel préfet Haussmann se souvient-on ? Du doctrinaire grand découpeur des ruelles et d’innombrables petites églises du vieux Paris ou du refondateur d’une ville moderne, aérée, fluide ? Dans les « zones 30 » de Baupin, près des écoles, les mamans sont plus rassurées. Aux carrefours mieux balisés, les traversées sont plus sécurisées. Et sur certains tronçons protégés, les bus roulent plus vite. D’ailleurs, à bien y regarder, la droite ne remet plus vraiment en cause ces aménagements qu’à la marge. Baupin, très flatté de l’analogie avec Haussmann, en est sûr : l’Histoire est avec lui. La fin du tout-automobile (« Tout voiture, no future », c’est le titre de son livre à paraître) est à ses yeux largement engagée. Toutes les grandes villes du monde s’emploient à faire diminuer une pollution qui atteint partout des seuils critiques. D’autant plus tentant qu’à Paris, 54% des ménages n’avaient déjà plus de voitures quand Baupin arrive à la Mairie. « Une situation qu’on ne retrouve nulle part ailleurs en France », répète-t-il.
Crachats et quolibets de l’intelligentsia
Reste à trouver la meilleure méthode. L’incitation et la mise à disposition de parkings aux portes de Paris ? Trop improbable. Pas assez radical. Le péage qu’adoptent au même moment Londres et d’autres capitales d’Europe et du monde ? Politiquement incorrect, la sélection par l’argent. Baupin adopte donc la solution extrême. Frontale : la contrainte. Visionnaire ou Khmer vert ? Les deux à la fois… La stratégie de découragement de l’automobiliste a même un nom de code : « le plan pétale » (voir page 15, le schéma inspiré de l’exemple de Strasbourg). Un centre-ville sans transit de voitures et une politique labyrinthique de la voirie qui repousse hors périf tout entrant à quatre roues, sauf bus et taxi. Le « plan pétale », discrètement remisé aujourd’hui, permet de comprendre, jusqu’à l’absurde, l’inspiration de la politique suivie. Résumons : c’est la voiture ou les bus. L’un ou l’autre. « Dès qu’on laisse de la place à l’auto, elle la prend ! », dit souvent Baupin. Une idée force et fixe que le hussard Vert va faire avancer sous les crachats et les quolibets de l’intelligentsia distinguée.
A la fois bouclier et bouc émissaire de Delanoë
Baupin s’en tape. Lui sort rarement au cinéma ou au théâtre, lit peu de romans, mais avale des piles de notes et de rapports du matin au soir, y compris en vacances. L’ex-joueur d’échecs – il frôla le titre de champion junior de Normandie – se bat pied à pied dans les réunions. Il peut agiter aussi l’oriflamme vert foncé contre les notables socialistes comme lorsque, à 20 ans, il se battait sur le campus de Centrale à Châtenay-Malabry pour la défense des droits de l’homme, promu très vite secrétaire local d’Amnesty International. Il négocie des heures avec les commerçants, les associations de vélos ou de deux-roues moteur, les maires d’arrondissement, enquillant les rendez-vous comme il avalait les kilomètres sur le GR 20 en Corse. Un obstiné, le Baupin. Il sait ce qu’il veut. Et il veut beaucoup.
Après un mariage raté à 23 ans avec une centralienne militante elle aussi de la non-violence, il multiplie les aventures, « un prédateur quantitatif », glisse un proche. « Il a un ordinateur dans le cerveau », dit Jean-Vincent Placé, le patron des Verts à la Région. Dans la main aussi : il ne quitte jamais son téléphone portable et son stylet. « Il a un côté j’y pense en me levant, j’y pense en me couchant », résume Anne Le Strat, conseillère Verte de Paris. « Les chantiers, ça fait bander les ingénieurs, confie trivialement une proche. Denis, c’est pareil ! »
L’autre clé du succès de Baupin, c’est d’avoir toujours su plier sans casser ni vraiment céder lors de ses bras de fer avec Delanoë. Souvenez-vous le 14 juillet 2001 : la première fermeture des voies sur berges. Il pleut pendant une semaine. Pas un pelé sur les quais bas. Et des voitures au touche-touche en haut, jour et nuit. Les taxis hurlent, la presse se déchaîne. Même émoi en août pour les sept premiers kilomètres de couloirs de bus rue de Rivoli et boulevard de Sébastopol : les travaux ont été lancés sans concertation, les places de livraison zappées. Delanoë assure alors avoir éteint le feu. Mais c’est le maire lui-même qui avait fait voter une première délibération de 40 kilomètres en juillet. La première d’une longue série de crises (lire l’encadré page 13) où Baupin sert parfois de bouclier à Bertrand Delanoë et de bouc émissaire : un succès, c’est une idée du maire. Ça dérape, c’est la faute au diable Vert. Qu’importe, il est devenu le seul interlocuteur fiable aux yeux de Delanoë parmi les grands adjoints écolos. Entre les deux hommes, il y a de l’estime. Chacun a fait le tour de l’autre. Et aucun des barons socialistes n’est encore qualifié pour s’emparer du dossier transports.
Costumes sombres bien coupés, chemises tendance
Six ans de mandat et 350 réunions de concertation plus tard, Baupin a- t-il changé ? Oui et non, répondrait-il en bon Normand qu’il est. En privé, il reconnaît désormais aussi les erreurs et les insuffisances. Si la circulation auto a régressé beaucoup et la pollution en conséquence, le boom hallucinant, gravement accidentogène et non maîtrisé des 2-roues moteur, la saturation de nombreuses lignes de métro, l’échec de la réforme des taxis, l’incohérence du boulevard Saint-Marcel, le plan vélo compromis et la faible fréquentation des bus n’incite pas à jouer non plus les tartarins. Le plan de déplacements de Paris prévoit d’ailleurs que toute nouvelle initiative de réduction automobile soit compensée par une offre de transports collectifs supplémentaire.
« Baupin est moins techno dans les réunions de concertation », reconnaît René Dutrey, le président du groupe Verts au conseil de Paris. Plus à l’écoute, oui. Mais on ne sait pas si ce « réalo de conviction », pas hostile par principe aux immeubles de grande hauteur, reste ou non structuré en profondeur par le malthusianisme de nombre de ses amis. Par cette obsession du toujours moins : de bureaux, de densité, de commerces de gros… En tout cas, l’adjoint a renoncé à son look écolo baba cool. « Il achetait d’horribles pulls jacquard acrylique sur les marchés dix ans après la mode », se souvient Dominique Voynet. Aujourd’hui, ce sont des costumes sombres bien coupés et des chemises tendance. Ou presque : le gros pull jeté sur ses épaules n’est jamais loin. L’année 2007 sera décisive pour Baupin : le 6 mai, jour du 2 e tour de la présidentielle, il attend la naissance d’un fils. Heureux événement pour la famille de l’adjoint. Comme pour toutes les jeunes familles avec poussettes, condamnées à l’escalade dans les escaliers du métro.
Ses dates
1962 Naissance à Cherbourg
D’un père comptable et d’une mère secrétaire de mairie. Quatre frères suivront.
1981 Vote pour Laguiller
Brice Lalonde est trop « droitier » pour lui . Il intègre Centrale.
1984 Objecteur de conscience
Au sein de l’association Solagral (Solidarité agricole et alimentaire).
1989 Adhésion aux Verts
A Saint-Denis (93) où il dirige l’association Terre des Hommes.
1990 Rencontre avec Voynet
Il est collaborateur du groupe Vert à Bruxelles, elle en est la secrétaire générale.
1995 Premier mandat
Conseiller d’arrondissement dans le 20e.
1997 Ministère de l’Environnement
Conseiller au cabinet de Dominique Voynet.
1999 Législative partielle
Dans le 20 e contre Michel Charzat. Il se coupe définitivement la barbe.
2001 Adjoint aux transports
De Bertrand Delanoë à la mairie de Paris. Premiers couloirs de bus.
2007 Vote du PDP au conseil de Paris
Le plan de déplacements de Paris est enfin adopté.
"Il a une culture préfectorale de la ville, qui administre impeccablement, mais sans tenir compte du terrain."
Michel Charzat, maire PS du 20e
Auto-obsession
C’est chaque fois la même rengaine. Lors de nos entretiens avec Denis Baupin, l’argument balancé sur un ton qui ne souffre aucune contradiction refait immanquablement surface dans la bouche de l’élu Vert : « Cela vous fait quoi d’appartenir à l’Automobile Club de France ? » Chaque semaine, Denis Baupin commence la lecture de nos pages par celle des publicités pour constructeurs automobiles. Il en tient même une comptabilité précise. La preuve de notre compromission. Après tout, chacun ses obsessions. Mais qui finance le système de vélos en libre-service souhaité par la Mairie, si ce n’est la publicité et accessoirement celle pour les constructeurs auto ?
Tintin au pays des voitures
Dans la gueule du loup. Pour la troisième fois depuis 2001, Denis Baupin, l’adjoint à la circulation, a droit à son petit tour au Mondial de l’Automobile. Le pourfendeur des 4 x 4 plonge au royaume des grosses cylindrées et des belles carrosseries. Aux caméras de TF1 qui s’en amusent, il répond sans rire : « Je discute aussi avec les chasseurs et les pronucléaires. » La visite 2006 se fait au pas de charge, c’est Bertrand Delanoë qui mène le bal. Devant une Citroën dernier cri, le maire charrie : « Je me tourne vers Denis pour savoir s’il trouve le modèle joli. » Baupin, chafouin : « C’est une œuvre d’art. » Puis il se tourne vers l’hôtesse qui fait la promo du véhicule : « Et ça roule jusqu’à combien ? 250 km/h ! Et ça sert à quoi de rouler jusqu’à 250 km/h ? » Même la nouvelle Mégane au bioéthanol lui paraît suspecte : avant de quitter le stand, il jette discrètement un œil à sa vitesse maximale. Conclusion à la sortie du Parc des Expositions de la porte de Versailles : « On voit de beaux joujoux mais totalement inadaptés. Des bolides qui surconsomment et surpolluent. Si les constructeurs n’évoluent pas, demain le salon de l’automobile deviendra le musée de l’automobile. » L’avenir en vert, quoi.
Denis Baupin vu par…
Françoise de Panafieu
candidate de l’UMP aux municipales
« Je retrouve chez Denis Baupin le même travers que chez Yves Contassot : “Nous détenons la vérité, nous devons agir pour le bien de la population.” Tous ceux qui ne partagent pas leur point de vue sont suspects. Les Verts de l’Hôtel de Ville sont déconnectés du terrain. Ce sont des poissons froids. »
Jean-Pierre Orfeuil
chercheur à Paris-12
« Il mouille sa chemise, mais surévalue son pouvoir de faire le bien : la pollution à Paris dépend des trafics de banlieue, et l’évaluation d’Airparif montre aussi que l’amélioration de la qualité de l’air parisien doit plus aux progrès des véhicules (4/5 e ) qu’à la baisse de la circulation (1/5 e ). C’est un ingénieur qui applique à l’humain les lois de la mécanique des fluides. C’est un croyant – qui n’est pas avec lui est contre lui – qui répond par l’invective (ses contradicteurs “roulent pour la bagnole”, même quand ils font l’éloge du métro) aux critiques argumentées sur les pertes de temps, l’inefficacité de certains couloirs de bus (12 bus à l’heure de pointe rue de l’Amiral-Mouchez) et l’inégalité de traitement entre usagers, comme le stationnement résident au prix de la demi-baguette. C’est un homme politique français normal : il a une aversion marquée pour la transparence (comparez l’information disponible à Londres et Paris) et l’évaluation, il croit qu’une politique est d’abord faite de bonnes intentions, il baptise Plan de déplacements un catalogue de mesures ni évaluées ni financées, il préfère ses électeurs aux autres citoyens. »
Christian Gérondeau
président de la Fédération française des automobile-clubs
« Chaque fois que nous débattons dans les médias, il m’accuse de ne pas être un démocrate. Ses arguments sont spécieux : je suis contre la politique menée par la mairie de Paris en matière de circulation. Or les Parisiens ont élu Delanoë et son équipe pour mener cette politique. Donc je ne respecte pas le suffrage universel, donc je ne suis pas un démocrate. Voilà comment il raisonne ! Il pense avoir le monopole du bien. Détenir la vérité révélée. Si vous n’avez pas la même opinion que lui, alors il vous classe dans la catégorie des méchants. »
Eclats de Verts
Entre le PS et les Verts, la cohabitation ne fut pas de tout repos. Retour sur quelques-unes des bisbilles qui ont jalonné les six ans de mandature.
Fermeture des voies sur berges, juillet 2001
Ce fut l’avis de naissance médiatique de Denis Baupin. Trois mois après les élections municipales, sa bouille ronde déboule sur les téléviseurs : il a décidé de fermer les voies sur berges à la circulation dès le 15 juillet. Par manque d’informations, la mesure provoque embouteillages record et réactions en chaîne. Même Lionel Jospin, alors Premier ministre, s’inquiète des retombées de la grogne. « Ils ont profité de mon absence pour se faire mousser dans les médias », dira Delanoë alors en vacances à Bizerte. Au milieu de la thrombose, les écolos rebaptisent la voie Georges-Pompidou « Quai de la vélorution ». Scandale à droite qui dénonce une atteinte à la mémoire de l’ancien président.
Le premier PDP, mars 2005
Dans son édition du 13 mars 2005, le « Journal du Dimanche » révèle en avant-première les projets confidentiels de la Mairie en matière de circulation. Le document est explosif : 36 mesures drastiques qui préfigurent le prochain plan de déplacements de Paris. Fermeture définitive de la voie Georges-Pompidou, interdiction aux automobilistes non résidents d’entrer dans les quatre premiers arrondissements, suppression des voies en sous-sol des Halles, mise en double sens des grands boulevards… « Un simple document de travail », tente de se justifier Denis Baupin. Trop tard ! Chez Delanoë, on s’interroge sur l’origine de la fuite. Certains maires d’arrondissement PS, « les vieux barons avec chauffeur » disent les Verts, ruent dans les brancards. Pour cause de divergences de vues au sein de la majorité, le vote du PDP, initialement prévu pour juillet 2006, sera repoussé finalement à février 2007.
Logement, septembre 2005
Quelques semaines après les incendies meurtriers de l’été, lors d’un débat au conseil de Paris sur le logement social, les Verts déposent deux vœux dont celui de créer un foyer de travailleurs migrants par arrondissement. Le PS s’y oppose mais ils finissent par passer grâce au renfort des voix de l’UMP, trop contente de semer le trouble dans la majorité.
Plan local d’urbanisme, juin 2006
T rop de bureaux, pas assez de logements ! Oui au logement social mais non aux tours ! Opposés au PLU qu’ils ont rebaptisés plan libéral d’urbanisme, les élus Verts, après maintes tergiversations, décident de s’abstenir sur le vote du projet. « J’ai honte », aurait dit Baupin. Ce qu’il s’empresse de démentir. Le PLU sera finalement adopté grâce à l’abstention de l’UDF. Mais dans les rangs socialistes, l’attitude des turbulents alliés finit par lasser.
Eve Roger, Guillaume Malaurie, Maël Thierry, Vincent Monnier