Publié le 15 janvier, 2015
0Paris Match : « Le nucléaire a perdu la bataille de la compétitivité »
Le député écologiste Denis Baupin réagit à la polémique suscitée par les propos de la ministre de l’Ecologie Ségolène Royal sur la construction de nouveaux réacteurs nucléaires.
Paris Match. Ségolène Royal, après avoir expliqué dans «L’Usine nouvelle» qu’il fallait construire de nouveaux réacteurs nucléaires, a affirmé que cela n’entrait pas en contradiction avec la loi de transition énergétique qui vient d’être votée -avec le soutien des écologistes. Qu’en dites-vous?
Denis Baupin. On ne peut pas dire que c’est antagonique avec le texte de la loi. De fait, il prévoit 50% de nucléaire en 2025, mais il ne dit pas ce qu’on fait en 2026. Si on restait à 50% au delà de 2025, la question de la construction de nouveaux réacteurs se poserait, évidemment. Cette déclaration a au moins le mérite de dire clairement qu’il faut se placer dans l’optique de la fermeture des réacteurs actuels. Ça casse le discours d’EDF selon lequel on pourrait prolonger ces réacteurs ad vitam aeternam.
Alors c’est une demi-victoire pour vous…
Non ! Je ne vais pas aller jusque là, il ne faut pas exagérer. On ne peut pas être d’accord avec l’idée que le vieux nucléaire doit être remplacé par du nucléaire neuf. Il doit être remplacé par du renouvelable. Le monde entier est en train de se tourner vers le renouvelable et la France reste accrochée à son vieux Minitel quand tout le monde passe à Internet. Nous sommes le pays le plus nucléarisé du monde, nous avons des vieux réacteurs et nous essayons de vendre des EPR alors que nous n’arrivons même pas à les construire. Il faut arrêter de s’entêter sur cette filière.
« Il faudra poser la question du nucléaire dans le cadre d’un référendum »
Ségolène Royal vous a-t-elle déçu sur ce dossier?
Je ne suis pas surpris de ce qu’elle pense, je suis plus surpris qu’elle le dise maintenant. De fait, on est en train d’élaborer une loi. Elle essaye d’avoir une position équilibrée entre les pro et les anti-nucléaires. Elle a dit à plusieurs reprises qu’elle ne partageait pas notre position sur la sortie du nucléaire et c’est légitime : c’est la position des socialistes. Mais il n’y a pas besoin d’en rajouter en lançant une discussion sur la construction de nouveaux réacteurs. Ça trouble le débat.
Comment faut-il mener ce débat, selon vous?
Le débat devra être tranché par les Français. Il faudra poser la question : pensez-vous que le vieux nucléaire doit être remplacé par du nucléaire neuf ou par des énergies renouvelables? Ce serait une question assez simple à poser dans le cadre d’un référendum.
Pourquoi le nucléaire neuf n’est-il pas viable à vos yeux?
Quand on regarde le contrat qui vient d’être passé par les Britanniques avec EDF sur les deux réacteurs Hinkley Point, on voit qu’il débouche sur un tarif garanti de l’électricité qui est le double du prix de l’électricité actuel et 30% plus élevé que le prix de l’électricité produite par les éoliennes. Est-ce vraiment le plus pertinent à proposer? Le nucléaire neuf a perdu la bataille de la compétitivité par rapport aux énergies renouvelables. En France, si on continue à se tromper en misant tout sur le nucléaire et à renflouer Areva à chaque fois qu’il y a des pertes colossales, ce sont les emplois d’aujourd’hui et de demain que l’on condamnera.
Que répondez-vous à ceux qui affirment que les énergies renouvelables ne sauraient se substituer intégralement au nucléaire?
Il faut regarder ce qui se passe dans le reste du monde. Il n’y a pas que les éoliennes et le solaire : il y a l’hydraulique, les énergies marines, la géothermie, qui n’ont pas l’irrégularité dont souffrent l’éolien et le solaire. De plus, nous sommes en train de faire de grands progrès en matière de stockage. Au Danemark, il y a un grand nombre de jours où 100% de l’énergie du pays est renouvelable. Bien sûr, c’est un petit pays, mais la France a un grand territoire, avec une grande façade maritime : on peut mettre plus d’éoliennes, on est plus ensoleillé que le Danemark. Et puis s’il faut un peu d’électricité produite par du gaz en complément -comme c’est déjà le cas aujourd’hui- cela peut servir d’accompagnement.
« Le Patriot Act a affaibli la démocratie »
En ce moment, les cours du pétrole s’effondrent. Cela risque-t-il d’entraver la transition énergétique que vous souhaitez?
C’est un très mauvais signal. Je comprends que pour l’économie française et le budget des ménages, cela soulage à court terme. Mais cela rend les économies d’énergie moins compétitives. L’Agence internationale de l’énergie, qui n’est pas un groupe d’écolos barbus et chevelus, dit qu’il faut profiter de cette baisse des cours du pétrole pour supprimer les subventions au pétrole et mettre en place une fiscalité carbone alors que c’est moins douloureux de le faire avec des prix en baisse.
Après les attaques contre «Charlie Hebdo» et contre l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, un grand débat s’ouvre sur la politique antiterroriste et la liberté d’expression. Comment les écologistes abordent-ils ces questions?
De façon équilibrée. Nous ne disons pas «tout va très bien, les services de renseignement fonctionnent parfaitement, il n’y a rien à changer». Evidemment qu’il y a nécessité de renforcer les moyens du renseignement, voire de prendre des dispositions législatives pour faciliter les écoutes. Il y a aussi des choses à changer dans les prisons. Restreindre les libertés individuelles, en revanche, non. Je suis surpris que certains prennent comme référence le Patriot Act : les Etats-Unis eux-mêmes reconnaissent les dérives que ça a occasionnées. Le Patriot Act a affaibli la démocratie sans garantir la sécurité.
Les écologistes ont parfois défendu la baisse du budget de la Défense. Est-ce toujours le cas?
Non, ce n’était pas ça : nous étions favorables au fait de baisser le budget consacré au nucléaire militaire. Nous faisons le constat que l’arme atomique ne nous sert pas à grand-chose pour protéger les Français face au terrorisme, ni pour agir au Mali, contre Daech ou en Centrafrique. Faut-il continuer à conserver les deux composantes, aérienne et sous-marine, de la force de frappe? Jacques Chirac, lui, avait supprimé la composante terrestre.
Interview Adrien Gaboulaud