Libération. A gauche, une « troisième voie » dure à prendre.

La socialiste Rossignol ou le vert Baupin, qui plaident pour un modèle où la croissance ne ferait pas foi, sont isolés.

Le « taux de croissance« , ce totem inébranlable des socialistes français. Loin de trouver de nouvelles recettes pour faire tourner un pays dont l’économie est au ralenti, le PS – en ligne avec François Hollande – reste figé sur la folle espérance de voir le produit intérieur brut (PIB) repartir à la hausse. « C’est la nostalgie des Trente Glorieuses« , déplore l’une des porte-parole du PS, Laurence Rossignol. Contrairement à beaucoup de ses camarades, la sénatrice de l’Oise se bat pour qu’à gauche, on « réfléchisse » à des solutions – et aux conditions de l’égalité – dans un monde sans croissance. A une « troisième voie » entre les deux bouts de la chaine productiviste de gauche : « Entre ceux qui pensent qu’il suffit de prendre aux riches pour donner aux pauvres et les sociaux libéraux qui assènent qu’on ne peut pas redistribuer les richesses qu’on ne produit pas, explique-t-elle. La gauche doit se soucier de la manière dont on peut offrir du travail au plus grand nombre en période de croissance faible, tout en étant économes en matières premières et protecteurs de l’environnement. »

« Juste prix ».

Or, puisque « les gouvernements successifs continuent de raconter que la croissance va revenir, soupire le député écolo Denis Baupin, ça empêche de repenser le fonctionnement de notre économie« . Accepter de payer un « juste prix« , penser « partage » plutôt que « possession« , mutualiser certaines dépenses à l’échelle européenne… Mais aussi « changer d’indicateur de croissance » en intégrant dans le PIB les dépenses recherche et développement ou la « création intellectuelle et artistique« . « Une fois que nous serons sorti de la récession, il faut se poser la question : c’est quoi notre horizon? » interroge Laurence Rossignol, ravie de voire gouvernement faire sa rentrée le 19 août sur le thème « La France en 2025 ».

Pour Baupin, « il faut miser sur les filières les plus intensives en emploi : l’éolien ou le solaire, c’est neuf fois plus d’emploi que le nucléaire; le transport collectif, deux fois plus que l’automobile…« . Une manière aussi pour cette gauche d’essayer d’en finir avec cette étiquette de « décroissants » qu’on leur colle à droite, mais aussi à gauche. Pas évident : « Si un ministre dit ce que je dis, un quart d’heure plus tard vous avez la droite qui nous tombe dessus en disant : « la gauche renonce« , se désole Rossignol. Cette caricature du débat politique joue aussi sur la pesanteur intellectuelle. » Si Jean-Luc Mélenchon martèle son « écosocialisme« , les forces à la gauche du PS restent dans un schéma classique du retour de la croissance via la consommation : « Peut-on mettre tout sur la table? » demande le porte-parole du PCF, Olivier Dartigolles, jugeant urgent de « relancer » l’économie via une hausse des salaires, de l’investissement public et un arrêt des coupes budgétaires.

Au dernier congrès du PS, la motion appelant à la « lutte contre le chômage sans attendre un miraculeux retour de la croissance » a recueilli 11,8%

Echo.Résultat, « les grilles de lectures ne changent pas, déplore Denis Baupin. Le simple fait que le débat entre Merkel et Hollande se résume à ‘austérité contre croissance’ est une régression idéologique« .
Pourtant au PS, la question d’une société « sans croissance » trouve de l’écho. La motion portée au dernier congrès par Stéphane Hessel – et rédigée par Pierre Larrouturou – appelait à la « lutte contre le chômage sans attendre un miraculeux retour à la croissance« . Son score : un inattendu 11,8%. « Un modèle, ça se corrige par touches« , défend Rossignol, qui liste ce qu’a déjà fait le gouvernement : « lutte contre l’obsolescence programmée des produits électroménagers […], soutien aux circuits courts« . Animatrice du collectif de parlementaires la Gauche durable, la socialiste veut y croire : « On a déjà un pied dans le changement de modèle. »

Lilian Alemagna – 13 août 2013