Publié le 6 octobre, 2006
0Lettre ouverte à M. Andreani – journal Le Monde
1) d’une part, je revendique et confirme, comme l’indiquent d’ailleurs fort justement M. Gazeau de l’UTP et Mme Duchêne du GART, tous deux ayant une grande expérience de la diversité des villes françaises, qu’une politique des déplacements efficace (en terme de « report modal », c’est-à-dire de report de l’automobile vers les transports collectifs) doit s’appuyer sur deux leviers : le renforcement de l’offre de transports collectifs et la restriction de la circulation automobile. En effet, les grandes villes françaises qui ont investi fortement et courageusement dans les transports collectifs sans restreindre l’espace circulé ont dû faire le constat qu’elles n’ont, au mieux, qu’enrayé la croissance de la circulation automobile, mais sans lui reprendre le terrain conquis depuis des décennies dans tous nos centres urbains. En rééquilibrant le partage de l’espace public comme nous le faisons depuis cinq ans (couloirs de bus, tramway, etc.), sur des chaussées qui étaient jusque là consacrés à 94% à l’automobile, nous agissons donc simultanément sur les deux leviers puisque ce que nous prenons à l’un, nous le donnons à l’autre.
2) En second lieu, je m’inscris en faux quant au lieu commun qui veut que « les couloirs de bus sont vides à Paris ». Ce sujet ayant été évoqué à de nombreuses reprises, nous avons fait faire une étude précise sur la façon dont l’espace est aujourd’hui utilisé sur 4 grands axes parisiens ( Rivoli, Sébastopol, Saint-Germain et Saint-Michel) en comptabilisant les usagers respectifs de chaque partie de la chaussée, selon qu’elle est dédiée aux automobilistes ou aux autres usagers de la voirie . Ces résultats montrent par exemple que, rue de Rivoli où l’espace consacré à l’automobile est de 60 % et celui consacré au couloir bus est de 40 %, les usagers du couloir de bus (usagers du bus, cyclistes) représentent 38% alors les autres usagers (motards, automobilistes, chauffeurs de poids lourds) qui circulent dans le « couloir automobile » sont 62%. Grosso modo, chaque partie de la chaussée accueille une part d’usagers à peu près proportionnelle à l’espace public qu’elle occupe. D’où vient alors le sentiment que les couloirs de bus sont vides ? Deux raisons : d’une part parce que l’espace occupé par chaque utilisateur du bus ou du vélo est très largement inférieur à celui occupé par l’automobiliste, en général seul dans son véhicule. Indéniablement certains véhicules occupent de façon plus rationnelle l’espace qui leur est offert. L’autre raison découle de la première : à partir du moment où on occupe de façon plus rationnelle l’espace, on circule plus vite. En conséquence chaque bus reste beaucoup moins longtemps dans la rue que le nombre d’automobiles nécessaires pour transporter le même nombre de personnes. D’où le sentiment que l’un est vide quand l’autre est engorgé. Le caractère rationnel d’une bonne allocation de l’espace, dans la ville la plus dense d’Europe, est d’ailleurs confirmé par deux autres statistiques : sur l’espace consacré au tramway, on fera demain circuler 3 fois plus de monde que si cet espace était consacré à l’automobile ; et alors que les voies de bus n’occupent aujourd’hui que 5% de l’espace circulé dans tout Paris, les bus représentent 35% des déplacements motorisés de surface !
3) Enfin, il me paraît important de vous signaler qu’à Paris ce n’est pas la RATP qui décide du renforcement des transports collectifs, mais le STIF (Syndicat des Transports d’Ile-de-France) qui a l’autorité sur les transports publics. Jusqu’au mois de mars dernier, le STIF était présidé par l’Etat. Vous avez raison de souligner que depuis 2002, l’Etat n’avait pas manifesté une volonté significative de renforcer les transports publics dans notre région ! Depuis mars dernier ce sont la Région Ile-de-France et les départements (dont Paris, qui le finance le STIF à 30%) qui pilotent le STIF. Et c’est grâce à la volonté politique de nos collectivités qu’un renforcement extrêmement significatif des transports publics d’Ile-de-France a été décidé le 29 mars dernier (le plus important renforcement d’offre de transports collectifs réalisé depuis plus de 10 ans). Il sera très largement mis en œuvre à la fin de cette année et au début de l’année prochaine. Il ne se limite pas, bien évidemment, à la soirée et au dimanche. Et il ne se limite pas à Paris. Ainsi dès 2006, les franciliens bénéficieront d’améliorations notables sur les lignes 13 et 11 du métro et sur plusieurs lignes du réseau Transilien, le fonctionnement du métro sera étendu d’une heure le samedi soir et l’offre sera considérablement renforcée sur de nombreuses lignes d’autobus, particulièrement sur les lignes équipées de couloirs de bus, aussi bien aux heures de pointe qu’aux heures creuses, et y compris pour de nombreuses lignes en en grande couronne.
Comme vous pouvez le constater, il ne s’agit pas de faire « vivre l’enfer » à qui que ce soit. Je ne me sens nullement une âme de tortionnaire. Ce que notre municipalité a engagé depuis 5 ans, c’est la mutation (et comme toute mutation elle est difficile) qu’engagent toutes les grandes capitales et toutes les grandes villes, notamment pour faire face aux enjeux environnementaux, mais aussi pour donner à chacun (y compris à ceux qui n’ont pas les moyens d’avoir une voiture) un véritable droit à la mobilité. Beaucoup reste à faire, et vous avez raison d’indiquer que cette politique n’a de sens que si elle est coordonnée à l’échelle de l’agglomération, comme nous nous y sommes engagés, notamment dans le cadre de la conférence métropolitaine.
Quand je constate aujourd’hui à quel point le dérèglement climatique menace les équilibres écologiques globaux, quand je vois à quel point la crise pétrolière pèse sur les ménages, l’économie et l’emploi, mais aussi sur la géostratégie, je ne peux que me réjouir que nous ayons engagé cette politique depuis 5 ans. Outre son apport environnemental et social pour Paris, elle est un début de contribution à la résolution de problèmes parmi les plus graves que notre civilisation aura à résoudre.
Denis BAUPIN