Publié le 12 juillet, 2007
0LE MONDE : Nicolas Sarkozy, le grand « recentralisator », par Denis Baupin, Catherine Candelier et Mir
Au moment où les grandes démocraties européennes fondent leur développement sur la dynamique régionale et le fédéralisme, la France serait-elle en passe d'en revenir aux archaïsmes du jacobinisme, de la centralisation à outrance, de la mise sous tutelle des collectivités locales ? Selon l'ancien maire d'une des communes les plus riches de France (Neuilly) et de l'ancien président du conseil général du plus riche département français (les Hauts-de-Seine), il serait temps de reprendre en main le schéma directeur de la région Ile-de-France (Sdrif), le "Grand Paris" et ses infrastructures.
Son offensive principale porte sur le Sdrif. C'est tout sauf anodin. A l'issue de la plus grande concertation jamais menée en Ile-de-France, avec l'ensemble des élus, des acteurs économiques, sociaux et associatifs et avec les citoyens – au travers de questionnaires et de conférences citoyennes -, le conseil régional a en effet adopté, en février, son projet de schéma directeur qui entend faire de l'Ile-de-France la première éco-région d'Europe.
Pour affirmer cette ambition, ce schéma directeur s'attaque à toutes les vaches sacrées du développement économique gaullo-productiviste : il souligne le nécessaire rééquilibrage Est-Ouest, il prône la fin de l'étalement urbain par une densification raisonnée du coeur d'agglomération, la construction de 60 000 logements par an (dont 30 % de logements sociaux y compris dans les villes les plus riches), la priorité aux transports collectifs. Le Sdrif remet en cause les vieilles conceptions de l'aménagement du territoire qui ont amené à ce que des villes et des quartiers soient laissés en déshérence. Il promeut un aménagement qui anticipe les mutations climatiques et énergétiques à venir en mettant en avant le concept de ville dense et multifonctionnelle. Crime de lèse-majesté, enfin, il n'hésite donc pas à s'opposer à l'extension du quartier d'affaires de la Défense et à la construction de nouvelles autoroutes dans la région.
Ceux qui avaient naïvement cru que la signature du pacte de Nicolas Hulot, la nomination d'un super-ministre du développement durable et la convocation d'un Grenelle de l'environnement valaient conversion du chef de l'Etat en premier écologiste de France en seront pour leurs frais. Certes, il s'est prononcé en faveur d'une rocade de métro (projet d'ores et déjà prévu sous le nom d'Arc Express), évidemment sans exprimer la moindre intention de l'Etat de s'y impliquer financièrement. Mais il a surtout insisté sur des projets qui en disent long sur le développement à deux vitesses qu'il voudrait imposer à la région : la concentration des emplois à la Défense (aux dépens des quartiers les plus pauvres de l'Est), l'enfouissement de la RN13 dans sa bonne ville de Neuilly (pour un coût avoisinant le quart de celui de la rocade de métro !) et la construction de CDG-Express, une infrastructure ferroviaire dédiée aux golden boys afin qu'ils puissent rejoindre plus rapidement l'aéroport de Roissy sans s'arrêter dans les contrées défavorisées de l'Est, pour éviter d'y côtoyer la plèbe !
En feignant d'ignorer que le projet du Sdrif sera soumis à enquête publique à l'automne, le président – toujours conseiller général des Hauts-de-Seine – s'assoit sur la loi de février 1995 qui confie l'élaboration du schéma à la région. La rupture promise se révèle une rupture antidémocratique.
Quant à l'idée du "Grand Paris", elle part certes d'un constat juste – l'incapacité de raisonner à la seule échelle parisienne, sans structure intercommunale. Mais qui peut croire, à l'heure de la décentralisation, qu'un tel projet pourrait s'élaborer d'en haut, dans les ministères, sans la participation, le débat, l'adhésion des élus et des citoyens ? Si les frontières administratives doivent être dépassées, cela ne saurait se faire par un simple renforcement du centralisme d'un territoire qui a vocation à favoriser son polycentrisme. Nous pensons au contraire qu'une telle démarche n'a de sens que si elle se construit autour d'un projet commun, construit collectivement et accompagné d'un renforcement des compétences de la de la région en matière d'aménagement du territoire.
Nous en sommes convaincus : l'avenir n'est pas au retour à l'Etat pompidolien. Il est, au contraire, à la décentralisation et au fédéralisme. L'avenir n'est pas à la concentration du pouvoir et des richesses sur quelques territoires. Il est au rééquilibrage et au désenclavement des quartiers en difficulté. L'avenir n'est pas à une intercommunalité fondée sur la volonté de contrecarrer les projets de la région, mais à une intercommunalité de projets s'insérant dans l'espace régional, cohérent. Il n'est pas aux infrastructures autoroutières et au productivisme, mais aux projets de transports collectifs et à une région économe et durable. Au président d'accompagner de véritables moyens financiers ses discours concernant le logement social et les infrastructures de transports en commun.
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Denis Baupin, adjoint au maire de Paris, chargé des transports ;
Catherine Candelier, vice-présidente du groupe Verts au conseil régional d'Ile-de-France ;
Mireille Ferri, vice-présidente du groupe Verts au conseil régional d'Ile-de-France, chargée de l'aménagement du territoire