Publié le 3 novembre, 2006
0LE MONDE : Denis Baupin, Monsieur embouteillages
Depuis l'arrivée de la gauche aux manettes de la capitale, l'ancien bras droit de Dominique Voynet engrange. Avec son éternel air poupin et ses allures de premier de la classe, il a l'art de mettre en avant ses réalisations. Les voies sur berges fermées à la circulation dès le premier été qui suit les municipales de 2001, c'est lui, assure-t-il. La multiplication des couloirs de bus aménagés dans les rues parisiennes, encore lui. Les quartiers tranquilles qui ont poussé au coeur de Paris, toujours lui. Et le tramway au sud de la capitale, c'est définitivement son oeuvre. Avec l'aide de "Bertrand" qui le choisit en l'opposant au "gauchiste" Yves Contassot, l'alter ego Vert, adjoint à l'environnement.
Le jeune élu avoue qu'il n'aurait "jamais rêvé" parvenir en une mandature à tant de changements concrets. "J'aurai fait des choses qui resteront", lâche-t-il ravi. Après tant de temps passé dans l'ombre de ses aînés Verts, il vole de ses propres ailes. Sans se soucier des haines qu'il déclenche.
"KHMER VERT" CONTRE "PRO-BAGNOLES"
Rarement, en effet, un élu n'avait suscité tant de noms d'oiseaux. "Khmer vert", "ayatollah anti-voitures", Denis Baupin est devenu, "le monstre à abattre", comme l'a désigné Philippe Tesson sur i-Télé début juillet. Celui qui avait lancé une "fatwa contre les automobilistes", selon Philippe Séguin, candidat malheureux de l'UMP à la Mairie de Paris en 2001. Lui explique ce déchaînement par l'opposition des "pro-bagnoles, qui ne supportent pas qu'on s'attaque à leurs privilèges".
Rarement, aussi, un élu écolo n'était parvenu à obtenir un soutien aussi affiché d'un maire socialiste. Contre les attaques de la droite, les critiques des maires d'arrondissement ou celles des lobbies, Bertrand Delanoë fait mine de défendre bec et ongles son adjoint. "C'est un partenaire auquel je tiens, explique-t-il. Il peut être dérangeant, mais aussi attachant." Le maire de Paris a compris qu'un bon bilan en matière de transports urbains sera toujours bon à prendre pour 2008. Et puis Denis Baupin sait se montrer reconnaissant : rares sont les moments où il s'est opposé au maire, persiflent ses amis Verts, plus remuants.
Cela n'empêche pas l'édile de ne pas supporter quand son adjoint semble trop chercher la lumière des projecteurs. Bertrand Delanoë n'a, en particulier, pas apprécié les fuites organisées en mars dans le Journal du dimanche, sur le futur "Plan de déplacements" de Paris. Une bombe de 200 mesures qui prévoyait de fermer la voie Georges-Pompidou, de créer une voie réservée aux taxis et aux véhicules propres sur le périphérique ou d'interdire le coeur de Paris aux voitures des non-résidents…
Là, les élus socialistes et communistes se sont déchaînés contre un projet qui semblait vouloir transformer la capitale en quartiers tranquilles faits pour les piétons et les vélos. "Les quartiers verts sont comme des îlots, et autour c'est l'enfer", argumente alors Serge Blisko, maire PS du 13e. "Ça devient des quartiers de bobos", renchérit Jean-Bernard Bros, adjoint PRG au tourisme. Les communistes râlent contre le "passage en force" et font valoir que le projet Baupin est "difficile à porter politiquement".
BOURREAU DE TRAVAIL
Delanoë voit la ligne jaune et siffle la fin de partie, mais sans désavouer son adjoint : le plan est reporté à début 2007. "Denis est très bon quand il est dans un fonctionnement collectif au service de Paris. Moins quand il s'isole sur une position partisane", lance M. Delanoë. L'adjoint aux transports a donc été prié de revoir sa copie. "Il a voulu être dans la politique du fait accompli en communiquant seul sur un dossier emblématique", soupire Christophe Caresche, premier adjoint chargé de la sécurité.
Denis Baupin obtempère, conscient cette fois d'avoir voulu aller trop vite. Mais ce fonceur ne renonce pas : il sait qu'il n'a qu'une mandature pour marquer son territoire et devenir le Vert incontournable à Paris. C'est un "homme trop pressé", juge Pierre Mansat, adjoint communiste, qui lui reproche "d'instrumentaliser la politique des transports à son profit". Mais le "système Baupin" marche, reconnaît-il presque admiratif : une bête de travail doublée d'un fin politique qui a mis en place un système d'alerte et de communication "dédiée à sa promotion personnelle".
Denis Baupin travaille en effet sans compter. Un bureau qui reste allumé tard le soir, des débats du Conseil de Paris toujours le nez dans une pile de dossiers, l'élu ne s'accorde aucun moment récréatif. Et connaît une vie sociale réduite au minimum. "En dehors de ses heures de bureau, il y a ses heures de travail à la maison. Il n'en mesure pas toujours les implications sur sa vie personnelle", se souvient Mireille Ferri, vice-présidente Verte de la région Ile-de-France, qui fut un temps sa compagne. Longtemps fan de jeux de rôle, tendance Donjons et dragons, ex-champion d'échecs, il a tout laissé tomber : "C'était ça ou la politique", lâche-t-il. Le jeune adjoint en a gardé le goût du coup réfléchi et minutieusement préparé. "Il pose ses pions à l'avance, calcule ses coups, et ça vaut pour tous les aspects de sa vie, y compris pour ses amours", glisse Dominique Voynet.
Baupin, le calculateur, un peu trop froid et définitivement techno, entend-on régulièrement. Compétent, mais manquant parfois de pragmatisme, admet le maire de Paris. "Sans charisme ni générosité", tacle Sergio Coronado, adjoint Vert du 14e arrondissement. "Je lui ai dit plusieurs fois : sors du métro, prends le bus et regarde ce qui se passe en surface", raconte son frère ennemi Yves Contassot. Lui n'en a cure.
Il regarde avec gourmandise sa prochaine cible : le ministère des transports si la gauche l'emporte en 2007. Et avoue ne pas savoir s'il se représentera en 2008 avec son "ami Bertrand". "Je ne ferais pas le même job avec autant d'enthousiasme."
Sylvia Zappi