Publié le 6 juin, 2008
0Le Figaro : Pour ou contre les tours à Paris ?
«L’urgence des villes, c’est le développement durable», estime Denis Baupin. «L’unique argument écologique ne peut que réduire le débat sur l’architecture », lui répond Jean-Michel Wilmotte.
Le Figaro Magazine – Avec les nouveaux projets de La Défense, les tours reviennent sur le devant de la scène…
Denis Baupin Oui, et j’en suis stupéfait, comme si la seule imagination architecturale pour le XXIe siècle se limitait aux tours. De Londres à Dubaï en passant par Moscou, on observe une rivalité entre capitales sur la question de qui construira la plus haute. Jadis, à Lille, le beffroi devait dominer le clocher… C’est Don Camillo ressuscité ! Alors que nous sommes face à des crises majeures remettant en question le système économique et social de toute la planète, on s’entête sur des modèles inadaptés, type Manhattan, comme si nous avions l’éternité devant nous. L’urgence, c’est de bâtir des villes adaptées au développement durable, pas de faire comme sur le Titanic, où l’orchestre continue à jouer comme si de rien n’était…
Jean-Michel Wilmotte Le sujet des tours n’est pas venu par manque d’imagination, mais dans le cadre du 50e anniversaire de la Défense. Chaque chef d’Etat, chaque maire de grande capitale ayant tendance à vouloir créer l’événement, le maire de Paris s’y est intéressé aussi, mais avec cette nuance, issue de l’expérience passée, que les tours seraient désormais écologiques, soucieuses de préserver aussi bien l’énergie que l’environnement. Contrairement à vous, je ne suis pas contre, dès lors qu’elles se trouvent à côté de transports en commun et que, dégageant de l’espace, elles permettent une plus grande densité sur un point précis. Poser une tour dans un endroit inaccessible avec des milliers de parkings tout autour, sans aucune vie, n’est plus possible. Il n’est donc pas question de réitérer les erreurs du passé, mais de savoir de quelles tours on parle…
Denis Baupin Lors de la dernière campagne municipale, aucun Parisien ne m’a confié son désespoir de vivre dans une ville qui ne construisait pas de tours ! Les gens sont beaucoup plus soucieux des transports collectifs, de la recherche d’un logement, ou de la qualité de l’air qu’ils vont respirer. Si les tours ne servent qu’à assouvir des fantasmes de puissance, on ne peut qu’être confondu par tant d’inutilité. Aujourd’hui, on parle de tours écologiques. Sans doute fera-t-on des bâtiments moins anti-écolo que ne l’ont été les tours de la Défense, mais pour un résultat seulement « moins pire » qu’avant… L’accès aux étages supérieurs, les contraintes de sécurité, la non-compacité des bâtiments sont autant de facteurs de dépense d’énergie. L’argument écologique est de mauvaise foi. Par ailleurs, l’argument de la densité est facilement réfutable : là où vous avez du dégagement, vous avez de la perte d’espace. Et si l’on doit parler transport, prenons l’exemple de la Défense, c’est vraiment l’antithèse de ce qu’il faut faire : des migrations quotidiennes pour des centaines de milliers de personnes entassées, un goulot d’étranglement.
Jean-Michel Wilmotte C’est à la lumière des erreurs d’hier qu’il faut repenser l’avenir. Pour ce qui est de la dépense en énergie, elle a baissé de moitié, la norme à la Défense devant être de 200-230 kilowattheures par mètre carré, pour arriver à 52 kilowattheures…
Denis Baupin Oui, c’est ainsi que les constructeurs automobiles nous font de nouveaux 4 x 4 prétendument écologiques qui demeurent bien plus polluants qu’une Smart !
Jean-Michel Wilmotte Tout dépend de la position des bâtiments, vous le savez bien… Pour ce qui est de la densité, je prendrai l’exemple de l’un de nos derniers projets, une tour de 115 000 mètres carrés. Lors des simulations sur un terrain de 2 hectares, le bâtiment occupait un tiers, l’espace public les deux autres, que nous imaginons bien évidemment en poche végétale. La verticalité a donc du bon. L’idée est de donner de l’oxygène. On crée au sol, avec la vie autour. La HQE (haute qualité environnementale) est en train de faire des progrès énormes, avec des études sur l’utilisation maximale de la lumière naturelle, la ventilation, le réchauffement, l’ouverture des fenêtres dans les cours intérieures…
Propos recueillis par Patrice de Méritens