Total, GDF Suez et Schuepbach Energy, ce sont les trois principales entreprise..." /> La France, usine à gaz (de schiste) - Denis Baupin

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Publié le 2 mars, 2011

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La France, usine à gaz (de schiste)

Total, GDF Suez et Schuepbach Energy, ce sont les trois principales entreprises qui s’apprêtent à explorer le sous-sol d’une zone allant de Montélimar à Montpellier (soit près de 15 000 km2) et qui remonte jusqu’au Larzac. Sous nos pieds, espèrent elles, il y aurait du gaz. Des dizaines de milliards de mètres cube de gaz naturel.

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Les Américains l’ont baptisé « shale gas » ; les Canadiens ont opté pour « gaz de schiste ». On assiste à une ruée vers cet or gazeux, qui a révolutionné le marché de l’énergie : en 10 ans, les Etats-Unis sont devenus le premier producteur de gaz -devant la Russie – frôlant l’indépendance énergétique ! Mais ce gaz dit « non conventionnel » (car non contenu dans une poche géologique) a également réussi un autre prodige : celui d’éveiller à l’écologie une partie de l’administration et des opinions américaine et canadienne. La colère monte outre-Atlantique, où les riverains des forages assistent, impuissants, à la destruction des paysages, à la contamination de l’air et surtout de l’eau utilisée pour les forages. Aujourd’hui, cette « nouvelle » énergie fossile, débarque en France, dans le plus grand secret.

C’est un Suisse, Martin Schuepbach, géologue de métier et ancien d’Exxon Mobil notamment, qui a ouvert le ban en 2007, en sollicitant un permis d’explorer le sous-sol auprès du ministère de l’Ecologie, imité par Total l’année suivante. Le ministère a coupé la poire en deux et leur a délivré des permis d’explorer, le 1er mars 2010. Depuis, il ne se passe rien. Officiellement, pas un seul carottage, pas un seul forage. Dans quelques mois, GDF Suez pourrait toutefois ouvrir le bal des « forages expérimentaux » sur la commune de Villeneuve de Berg, en Ardèche. Le maire a déjà reçu la visite de plusieurs salariés de GDF Suez. « Les données disponibles (dans ce secteur) sont excellentes », confirmait Martin Schuepbach en mai 2010 dans le Bulletin de l’industrie pétrolière. « Le potentiel gazier y est de plusieurs dizaines de milliards de mètres cubes », indiquait l’ingénieur suisse. Mais pour aller chercher le gaz naturel dans les entrailles de la terre, il faut un savoir-faire que les entreprises frenchy n’avaient pas encore acquis. L’alliance avec des entreprises américaines s’est donc avérée incontournable. Début 2010, Total a donc acquis 25% de Chesapeake Energy’s, le leader mondial de l’exploration – pour 2,25 milliards de dollars – afin d’opérer sur le permis dit « de Montélimar ». GDF-Suez a préféré un mariage à trois pour explorer le permis dit « de Nant » (Larzac), s’alliant avec Schuepbach Energy et Dale, champion mondial dans « le forage en milieu urbain ».

La technique pour ramener le gaz à la surface est nouvelle, délicate et surtout, désastreuse sur le plan environnemental. La « fracturation hydraulique horizontale », c’est son nom, consiste à provoquer des failles à l’aide d’un liquide envoyé à très forte pression, pour libérer le gaz pris dans la roche compacte, à environ 2000 mètres de profondeur. Trois «ingrédients » sont nécessaires pour créer ces mini-séismes : des quantités phénoménales d’eau (entre 10 000 et 15 000 m3, soit 10 à 15 millions de litres), additionnées de produits chimiques – pour attaquer la roche – et de micro-billes de la taille de grains de sable – pour maintenir ouvertes les failles créées par le liquide. Une partie de ce cocktail « eau-produits chimiques » est aspirée à la surface, en même temps que le gaz.

L’eau est le nœud gordien du gaz de schiste. Aux Etats-Unis, elle est acheminée par centaines de camions-citernes, engendrant trafic sur les routes et pollution de l’air. Extraite du puits, elle doit être à nouveau transportée pour être stockée dans des réservoirs gigantesques. Certaines stations d’épurations municipales qui ont accepté de les retraiter dans leurs installations classiques ont eu de mauvaises surprises. Car cette eau est contaminée par les composés que renferme le sous-sol (métaux lourds, sel, éléments radioactifs, hydrocarbures, etc…), auxquels s’ajoutent les additifs utilisés pour faciliter la fracturation (plus de 500 ont déjà été recensés). Aux Etats-Unis et au Canada, la composition de ces additifs est protégée par le secret industriel ! En 2005, Dick Cheney, alors vice-président de George W. Bush et ex-PDG du géant de l’énergie Halliburton, leader mondial du gaz de schiste, réussit à faire voter une loi qui empêche l’EPA, l’Agence fédérale pour l’environnement, d’analyser les eaux utilisées pour la « fracturation ». Sans analyse, pas de problème… Début septembre 2010, devant la colère grandissante des habitants voisins des puits, l’EPA a sommé neuf entreprises de révéler la composition des additifs. Même si Halliburton a peu ou prou refusé de s’exécuter, il était temps que les autorités américaines réagissent. Car les images de riverains mettant le feu, en quelques secondes, à l’eau du robinet avec un briquet – tant celle-ci est chargée en gaz infiltré dans des aquifères endommagés – se multipliaient sur Internet. Un éditorialiste québécois fait un parallèle inquiétant : « Sur le plan environnemental, le gaz de schiste est au gaz naturel ce que les sables bitumeux sont au pétrole. »

Evidemment, en France, la question de l’impact sur l’environnement ne pouvait être ignorée. Mais GDF-Suez « ne désire pas s’exprimer pour l’instant » (dans l’attente d’un accord juridique définitif avec Schuepbach Energy). Total affirme, lui, se pencher sur des «programmes de recherche pour améliorer le process ». Le ministère de l’Ecologie, qui n’a convoqué aucune réunion sur la question de l’eau, assure avec fermeté qu’ « on ne va pas travailler à l’américaine ». Quid alors de l’utilisation massive d’eau, ainsi que de sa pollution ? « L’eau sera prélevée dans des zones aquifères profondes et non potables, puis traitées avant d’être rejetées dans le milieu. Et les ingénieurs des compagnies pétrolières inventeront des techniques moins gourmandes en eau. » Dans un courrier à l’ex-ministre, Jean-Louis Borloo, la direction « Exploration Production des hydrocarbures » estime par ailleurs qu’il faudra adopter « une attitude vigilante mais proportionnée dans la mise en œuvre de l’extraction ». Traduction d’un responsable du ministère du l’Ecologie : « Il ne faudra pas casser le projet industriel en imposant trop de normes environnementales. » Car, comme le note Charles Lamiraux, le responsable « exploration et production des hydrocarbures pour la France » au ministère de l’Ecologie, le pays est à un « carrefour historique de son histoire pétrolière ». Cette perspective quasi miraculeuse d’acquérir l’indépendance énergétique, tant pour le gaz que pour le pétrole sonne comme un appel quasi irrésistible. « La recherche d’hydrocarbures en France, qui est une ressource stratégique, reste une priorité », confirme le géologue.

Une « révolution silencieuse » – selon l’expression de l’ex-patron de BP – est donc en marche en France, comme en Allemagne, en Chine, en Amérique latine ou encore en Russie. Le ministère de l’Ecologie et les entreprises en lice insistent : « Nous en sommes à la phase d’exploration. Personne ne sait encore quelles quantités de gaz renferme le sous-sol français et si cela sera rentable. » Pierre Batellier, porte-parole d’un groupement de citoyens canadiens opposés à l’exploitation du gaz de schiste, prévient les Français : « Même l’exploration est loin d’être neutre au plan environnemental. » José Bové regrette, lui, l’absence de débat : « Comme pour le nucléaire, l’Etat a décidé seul, sans consulter les populations sur leurs besoins en énergie. Tant pis pour eux », conclut l’eurodéputé, bien décidé, à l’heure du facteur 4 (3) et des énergies renouvelables, à croiser le fer contre cette énergie fossile et contre ceux qui veulent la libérer.

Texte réalisé à partir de l’article de Marine Jobert sur Terraeco

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