Publié le 20 novembre, 2014
0Flamanville, un chantier test qui n’en finit pas de déraper
La scène se déroule le 3 décembre 2012, au siège d’EDF. Dans l’après-midi, le champion français de l’électricité a convoqué en urgence quelques journalistes pour dédramatiser la mauvaise nouvelle du jour : un dérapage massif du coût de l’EPR, le réacteur nucléaire de nouvelle génération en construction à Flamanville (Manche). Certes, la facture du projet phare de l’entreprise va monter à 8,5 milliards d’euros, admet alors la direction. Mais « le planning est maintenu », à quelques mois près, assure-t-elle. Le génie civil est réalisé à 93 %, et des équipements sensibles sont déjà sur place. Désormais, tout est sous contrôle. Parole d’EDF !
Mardi 18 novembre, un peu moins de deux ans plus tard, la direction du groupe public a dû manger son chapeau et annoncer « un décalage dans le planning du chantier ». Le démarrage, d’abord programmé pour 2012, puis 2014, puis 2016, « est désormais prévu en 2017 ». Au lieu de cinq ans, le chantier entamé en 2007 devrait donc prendre dix ans ans.
Quant au coût du projet, EDF ne donne pour l’heure aucune estimation. Mais il est clair qu’il va s’alourdir encore. « Un an de retard peut représenter 700 à 800 millions d’euros de plus », glisse un professionnel. Ce qui porterait le total entre 9 et 9,5 milliards d’euros, soit près de trois fois l’évaluation initiale de 3,3 milliards d’euros. Le mégawattheure du seul EPR français risque ainsi de revenir à 90 voire 100 euros, au lieu des 46 euros visés initialement.
Dès mardi soir, les écologistes ont profité des nouveaux déboires de Flamanville pour tirer au canon sur l’EPR. Un réacteur « invendable », un « désastre industriel déjà certain », selon le sénateur (EELV) Jean-Vincent Placé. Entre les difficultés d’EDF et le naufrage financier d’Areva, « la mono-culture nucléaire de la France craque de partout et met en évidence la vulnérabilité de notre pays », assène le député (EELV) Denis Baupin.
Une vitrine commerciale ternie
Censé remplacer à terme les réacteurs actuels, l’EPR est-il un de ces programmes pharaoniques, impossibles à rentabiliser, comme le Concorde ou le surgénérateur Superphénix ? Faut-il l’abandonner ? Pas du tout, affirment ses défenseurs, en insistant sur le fait que Flamanville est une « tête de série », un premier exemplaire qui essuie les plâtres.
Au fil des ans, EDF a rencontré de multiples soucis sur ce chantier bien plus complexe qu’attendu, sur lequel œuvrent parfois 3 200 personnes en même temps. Deux accidents graves, dont l’un mortel, ont ralenti le travail. La catastrophe de Fukushima, en 2011, a amené l’autorité de sûreté à durcir les normes en cours de route. Des défauts sur certaines pièces ont aussi amené à suspendre un temps le bétonnage du bâtiment réacteur.
« Jusqu’à présent, on arrivait malgré tout à gérer ce chantier, quitte à décaler certains travaux et à en effectuer d’autres », explique-t-on chez EDF. Mais lundi, Areva a prévenu qu’il ne pourrait pas livrer le couvercle de la cuve du réacteur dans le délai prévu. Areva peine en outre à s’adapter à la nouvelle réglementation des équipements sous pression nucléaire, « en particulier sur un lot de montage » réalisé avec des sous-traitants. Résultat : cette fois-ci, EDF se retrouve face à un retard incompressible.
L’affaire ne risque guère de plonger la France dans le noir. EDF devrait pouvoir répondre à la demande même sans EPR, quitte à garder la vieille centrale de Fessenheim ouverte plus longtemps. En revanche, les problèmes à répétition de Flamanville ternissent sérieusement la vitrine commerciale que devait avant tout constituer cette centrale. Difficile pour l’« équipe de France du nucléaire » de vendre à l’étranger une technologie qu’elle semble si mal maîtriser, et dont la compétitivité paraît limitée.
Prochain test : la Grande-Bretagne. EDF, Areva et leurs associés chinois doivent prendre en fin d’année la décision finale pour y construire deux réacteurs EPR. Un pari à 16 milliards de livres, soit 19 milliards d’euros.
LE MONDE ECONOMIE | 19.11.2014 à 11h40 Par Denis Cosnard