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Publié le 3 juin, 2015

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Faut-il sauver le nucléaire français ?

 

3 juin 2015 – DÉBAT

Le démantèlement d’Areva, détenu à près de 87% par l’Etat, pourrait être scellé ce mercredi à l’Elysée. Le groupe nucléaire, qui emploie 29 000 personnes en France, a accusé une perte nette d’environ 5 milliards d’euros en 2014 et annoncé la suppression de 3  000 à 4  000 postes rien que dans l’Hexagone. En projet, le rachat de la branche réacteurs par EDF et la prise de participation d’Engie dans ses services de maintenance. Cette opération signifie-t-elle la fin de la filière nucléaire nationale ?

 

POUR

DISPOSER D’UNE FILIÈRE NUCLÉAIRE PERMET DE RESTER COHÉRENT AVEC L’OBJECTIF D’INDÉPENDANCE ÉNERGÉTIQUE QUE LA FRANCE S’EST FIXÉ.

Sauver la filière nucléaire ? Oui, s’il s’agit d’être cohérent avec la politique gouvernementale, du PS comme du parti Les Républicains (LR). Votée par le PS et EE-LV, la loi de transition énergétique stipule bien que les centrales nucléaires doivent constituer le socle de la production d’électricité nationale, avec un objectif de 50 % du total «à l’horizon 2025» et une puissance installée similaire à l’actuelle, 63,2 GW, ce qui correspond aux 58 réacteurs actuellement en service en France. Quant aux élus LR, ils n’ont pas caché vouloir un mix électrique encore plus nucléarisé. S’il fallait un indice supplémentaire de la volonté gouvernementale de poursuivre l’option nucléaire à très long terme, au-delà de 2050, on peut ajouter celui-ci: la poursuite des recherches sur la quatrième génération de réacteurs.

Qu’est-ce que la «filière nucléaire» ? C’est la capacité technologique et industrielle de concevoir et de réaliser l’ensemble des constructions et opérations liées au combustible nucléaire – de la mine à la gestion des combustibles usés – et aux réacteurs. Et pourquoi est-ce important pour un pays comme la France d’en avoir le contrôle ? La plupart des questions sensibles de l’électronucléaire – maîtrise de l’approvisionnement des réacteurs, prix du kW/h, doctrine de sûreté et gestion des activités dangereuses – relèvent de cette «filière». Ne pas en disposer signifie donc se soumettre aux conditions des fournisseurs, comme le font la plupart des pays qui utilisent cette technologie. Afficher un objectif «d’indépendance énergétique» grâce au nucléaire, ce qui constitue la base des discours gouvernementaux, suppose donc de disposer de cette filière industrielle. Et, en France, cette filière est constituée, pour l’essentiel, de deux entreprises publiques, EDF et Areva. La conserver fait donc partie des choix énergétiques des partis de gouvernement.

Mais qu’y a-t-il à «sauver» ? Pas EDF, qui gagne de l’argent avec ses centrales. Areva, en revanche, a un besoin de financement d’environ 4,5 milliards d’euros, en gros l’équivalent des trois dernières années de dividendes versés par EDF à l’Etat, son principal actionnaire. Cette situation est le résultat de trois erreurs majeures. D’abord, l’achat peu avisé d’une mine d’uranium en Namibie. Ensuite, une perte de près de 500 millions d’euros dans l’éolien. Enfin et surtout le chantier du premier EPR, en Finlande, vendu sous son prix par Areva pour servir de tête de série à ce nouveau réacteur. Sauf que la perte va dépasser de loin celle attendue, en raison d’une gestion de la construction qui tourne au fiasco et pourrait coûter à Areva environ 3 milliards, aujourd’hui provisionnés. Ses autres activités – fournir de l’uranium enrichi, du combustible, des opérations de maintenance des réacteurs et retraiter les combustibles usés à la Hague – demeurent rentables, malgré la perte actuelle du marché japonais. Tandis que son carnet de commandes dépasse les 46 milliards d’euros pour 8,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2014.

Mais sauver la filière nucléaire équivaut-il à sauver le modèle Areva, une entreprise qui intègre toute la filière sauf l’exploitation des réacteurs ? Non, répond la direction d’EDF, qui se verrait bien reprendre à son compte la partie maintenance et conception des réacteurs. Oui, rétorquent les syndicats du personnel d’Areva, qui pointent la «carence managériale» et les mauvaises relations entre EDF et Areva, l’électricien se fournissant par exemple chez les concurrents pour une part de son uranium. C’est plutôt à cette question que François Hollande et Emmanuel Macron doivent répondre. S. H.

CONTRE

Alors que la filière est au bord de la faillite et accumule les déboires, la France pourrait tourner à l’électricité verte d’ici à 2050, sans surcoût.

«La vraie question est plutôt : la filière est-elle encore sauvable ?» s’exclame Thierry Salomon, de l’association NégaWatt. Bigre. Personne ne le nie, «l’excellence nucléaire française» a du plomb dans l’aile. Et pas qu’un peu. Areva, censé être un de nos fleurons industriels, est en quasi faillite. Et entend du coup supprimer 3 000 à 4 000 postes. On comprend l’angoisse des salariés, mobilisés mardi. Un carnage, dû «à des choix stratégiques malencontreux»«un manque de maîtrise sur les grands projets» et au coup d’arrêt du marché mondial du nucléaire après Fukushima, reconnaissait son PDG, Philippe Varin, en mai. Or EDF, qui veut racheter l’activité réacteurs d’Areva, n’est pas en forme non plus : sa dette nette atteignait 34,2 milliards d’euros fin 2014. «La stratégie développée depuis une quinzaine d’années par la filière nucléaire française a consisté à investir massivement dans des activités à l’étranger et à l’exportation, avec l’espoir d’y trouver des relais de croissance face à la perspective d’un marché en recul et de coûts croissants en France, explique Yves Marignac, directeur du cabinet Wise-Paris. Mais le fiasco des projets d’EDF aux Etats-Unis ou en Italie et les grandes difficultés au Royaume-Uni, comme les pertes massives d’Areva sur l’EPR d’Olkiluoto en Finlande, et Uramin, illustrent l’échec de cette stratégie.» Selon lui, «la France n’a fourni à ce jour que 2,4 % des réacteurs construits hors du territoire.» Elle a régulièrement revu à la baisse ses ambitions de vente d’EPR, tant les déboires s’accumulent sur le chantier finlandais et à Flamanville (Manche) – le coût de ce dernier a déjà triplé, atteignant 8,5 milliards d’euros, et une «anomalie sérieuse» a été détectée dans la cuve du réacteur. Idem côté retraitement du combustible irradié : «Areva a perdu tous ses clients étrangers à l’exception du néerlandais EPZ, qui représente moins de 0,2% de la capacité nucléaire installée hors de France»,calcule Marignac.

Comment un malade pourra-t-il sauver un grand malade ? Comment éviter qu’Areva n’entraîne EDF dans sa déroute ? Les coûts flambent, et pas que pour l’EPR. Le coût de production des 19 centrales françaises s’est envolé de 21% entre 2010 et 2013, alerte la Cour des comptes. Et il faudra débourser 110 milliards d’euros pour entretenir les centrales vieillissantes, sans garantie de pouvoir les prolonger au-delà de quarante ans. Parallèlement, le coût des énergies renouvelables chute : le solaire pourrait devenir la principale source d’électricité dans le monde d’ici à 2050, selon l’Agence internationale de l’énergie. La France pourrait «carburer» à l’électricité 100 % verte à la même échéance sans que cela coûte plus que l’atome, conclut l’Agence de l’environnement et de la maîtrise d’énergie. «C’est désormais aux tenants de la poursuite du nucléaire de prouver sa pertinence sur le plan énergétique mais aussi sur l’emploi, la sécurisation des prix de l’électricité et la résilience face aux risques futurs», estime Salomon.

En attendant, que faire ? Au-delà de l’injection d’argent frais et de la réorganisation industrielle, «il faudra une profonde réorientation, axée sur les services aux réacteurs existants (maintenance…), puis le démantèlement et la gestion finale des déchets, sans parler de la nécessité de transférer massivement des compétences vers les filières renouvelables», insiste Marignac. Le député EE-LV Denis Baupin ne voit pas de salut pour EDF hors du «triptyque maîtrise de l’énergie-énergies renouvelables-décentralisation et réseaux intelligents». Sans quoi, «il restera aussi crédible que le commercial qui proposerait d’acheter un Minitel plutôt qu’une tablette, en le payant trois fois plus cher»C. S.

 

Sylvestre HUET et Coralie SCHAUB

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