Les évolutions importantes de ces dernières semaines n’y sont évidemment pas pour rien : le succès du sommet de Ban Ki Moon à New York et des marches populaires pour le climat, l’accord trouvé au sein de l’Union européenne, l’accord « historique » conclu entre les USA et la Chine en rupture avec les postures des deux grandes puissances qui bloquaient les négociations depuis des années, l’abondement du Fonds vert au-delà de 10 milliards de dollars, l’acceptation par tous les pays (y compris les émergents et les moins avancés) que chacun devra prendre sa part de l’effort… tout cela crée un contexte nouveau, apte à décrisper la négociation.
Le processus de négociation lui-même apporte sa contribution à la sérénité ambiante : les accords arrachés conférence après conférence ont tracé la route. On sait d’ores et déjà que la conférence cruciale sera en 2015 à Paris – ce qui allège la pression sur la conférence de 2014 – tout en ayant donné comme rôle clair à la COP20 de planifier l’année de négociations qui vient. Les enseignements ont été tirés de l’échec de Copenhague, et le processus semble mieux rodé que jamais.
Des engagements encore peu ambitieux
Cette sérénité ambiante ne doit cependant pas masquer que l’essentiel reste à faire. Traduit-elle une réelle volonté commune d’aboutir ? Est-ce au contraire le calme qui précède la tempête ? Ou plus probablement un fragile équilibre entre ces deux options caractéristiques des négociations les plus importantes ?
Personne ne se leurre en effet : tant les engagements de l’Union européenne, ceux de la Chine et des Etats-Unis, que les feuilles de route des États qui seront rendues publiques au printemps ne sont suffisamment ambitieux pour ramener la trajectoire des températures au-dessous du seuil fatidique des 2 degrés. La forme même de ces feuilles de route fait l’objet de longues confrontations, alors même que la méthodologie en est essentielle pour vérifier qu’on est bien dans l’épure. C’est dire si l’organisation du travail qui s’ensuivra reste sujet à préoccupation et tension : quelle méthode d’addition des efforts ? Quelles marges de négociation avec les États pour des efforts supplémentaires ? Et, plus explosif encore, quelle capacité de contrôle ?
Des questionnements multiples comme autant de leviers
À cela s’ajoutent d’autres questions tout aussi cruciales pour aboutir à un accord, et que celui-ci soit à la hauteur des enjeux : quelle politique d’adaptation au dérèglement climatique ? Quel financement destiné aux pays du Sud pour lutter contre ce dérèglement (à minima 100 milliards par an à partir de 2020) ? Quelle intégration des collectivités locales, des entreprises, des ONG, des citoyens et quel « Agenda des solutions » permettant de faire de la lutte contre le dérèglement un atout pour l’économie et l’emploi ? Quels efforts supplémentaires à engager entre maintenant et 2020 (date à laquelle l’accord de 2015 est censé entrer en application) pour que ces 5 années ne soient pas perdues ?
La multiplicité des questionnements et leur ampleur pourrait effrayer. A l’inverse, cela peut être une chance ! Dans une négociation complexe, à plus de 150 États, avec des enjeux aussi cruciaux, avoir à disposition de nombreux leviers peut constituer un atout pour que personne ne sorte perdant… même s’il faut bien convenir que tout cela contribue peu à la lisibilité !
Dans la dramaturgie propre aux négociations climatiques, ce n’est probablement que dans les dernières heures de la COP 2015, dans un an, que se nouera, ou pas, ce compromis historique. Mais les jours qui viennent à Lima seront essentiels pour confirmer, ou non, la volonté des États d’aboutir en 2015, et doter la future présidence française des moyens de réussir. C’est conscients de cette responsabilité que les négociateurs de tous les pays œuvreront au cours des 3 jours à venir… et probablement des 2 ou 3 nuits.
Tribune de Denis Baupin parue dans Terraeco