Publié le 17 mai, 2011
0Conseil de Paris : Intervention sur les marchés des biffins
Conseil de Paris des 16 et 17 mai 2011
Intervention de Denis Baupin sur les marchés des biffins
Monsieur le Président,
Je voudrais à mon tour exprimer ma forte préoccupation en ce qui concerne la situation des marchés de biffins dans l’est parisien.
Comme c’était prévisible, et comme nous en avions averti à de nombreuses reprises, ici en conseil de Paris, comme au conseil d’arrondissement du 20ème, rien de bon ne peut résulter de la stratégie du pourrissement.
Jour après jour, semaine après semaine, on ne peut que comprendre l’exaspération des riverains devant l’inaction des pouvoirs publics. Aux nuisances engendrées au quotidien vient s’ajouter le sentiment, au mieux, d’une impuissance du politique, au pire, d’une volonté délibérée de laisser monter l’exaspération pour mieux l’instrumentaliser.
Face à la montée de la misère, qui peut croire qu’il suffirait d’appliquer des réponses simplistes ? Cette misère ne cesse de monter dans notre propre pays, non seulement à cause des politiques injustes et de casse sociale du gouvernement, mais aussi parce que nous avons trop longtemps laissé perdurer cette misère dans le reste du monde et que notre égoïsme de pays riche nous revient aujourd’hui en boomerang.
Face à cela, il y a deux politiques possibles. La première est d’opposer les uns aux autres, de faire monter les populations les plus fragiles les unes contre les autres. C’est ce qu’a fait un ministre la semaine passée, en stigmatisant les personnes qui en sont réduites à dépendre du RSA. Et à ce moment-là, toute la gauche s’est élevée contre ses déclarations scandaleuses.
Eh bien, c’est la même chose en ce qui concerne les biffins. Eux aussi, ont droit au respect qu’on doit à tout être humain, ils n’ont pas à être stigmatisés, ils n’ont pas à être humiliés, même si, pour l’instant, ils en sont réduits à survivre sur ces marchés de la misère.
Que penserait-on d’un élu qui déclarerait publiquement aux personnes concernées que « ce n’est pas digne de vivre de ce qu’on trouve dans les poubelles », qu’ « il n’y a aucune dignité dans la misère », ou encore que les « chiffonniers sont le rebut de la société » ? J’imagine que toute la gauche s’élèverait immédiatement face à cette humiliation publique de personnes qui n’ont en rien choisi d’être réduites à la misère.
Pourtant, rien de tel ne s’est produit. Peut-être parce que ces propos n’ont pas eu le même écho que ceux du ministre. Peut-être aussi parce que l’élue qui les a prononcés est maire d’arrondissement, maire du 20ème arrondissement, lors du dernier conseil de quartier à Belleville.
Franchement, quand on m’a rapporté ces propos, j’ai eu du mal à y croire. Nous avions été élus ensemble sur les mêmes listes, porteuses de valeurs de solidarité. Et je me souviens que la maire de notre arrondissement s’est longtemps engagée dans une ONG de solidarité internationale présidée par Danièle Mitterrand, à laquelle elle se réfère souvent en conseil d’arrondissement. Malheureusement tous les récits de cette réunion concordent, et le site d’information 75020.fr les a publié pour une bonne part ce matin.
Mon malaise en est d’autant plus grand que, si j’en crois toujours, et les propos rapportés et ce site d’information, la maire de l’arrondissement aurait aussi proposé de prendre la tête d’une manifestation, non pas pour réclamer justice et solidarité, mais pour réclamer plus des renforts policiers pour lutter contre la misère !
En sommes nous vraiment arrivés là ? Est-ce vraiment tout ce que nous pouvons proposer nous, politiques, qui plus est municipalité de gauche, nous qui dénonçons la dérive sécuritaire de ce gouvernement, nous qui avons dénoncé la criminalisation de la misère dans la loi Loppsi 2, nous qui à juste titre vantons les moyens que nous mettons dans la politique sociale et de solidarité de Paris, n’avons-nous rien d’autre à proposer face aux marchés de la misère que des réponses démagogiques, répressives et policières ?
Ce n’est pas ce que nous pensons, nous élus écologistes, et nombre d’autres élus de gauche de notre arrondissement. Nous ne nous leurrons pas sur la difficulté de l’exercice. Nous ne doutons pas qu’il soit difficile de gérer la misère, plus difficile en tous cas que de la nier ou de tenter de la repousser ailleurs. Mais nous ne manquons pas d’outils, d’exemples plus ou moins probants de dispositifs qui certes ne résolvent pas à eux toutes seuls tous les problèmes, mais permettent d’ouvrir la voie vers un mieux, vers une meilleure organisation. Et il n’y a pas besoin d’aller chercher très loin, puisque sur Paris même, dans le 18ème notamment, ce type d’expérimentation a été lancé.
Pour cela, le premier pas, c’est d’accepter de reconnaître le droit des principaux intéressés à s’exprimer, c’est d’accepter qu’émerge la parole des biffins, afin qu’il puisse y avoir des interlocuteurs. C’est ce que tente de faire un collectif sur place, essayant de contribuer à l’apaisement et à la médiation. Et plutôt que de saper ce type d’initiative, il serait largement préférable de permettre son développement.
Je l’ai déjà dit ici : nous ne prétendons pas que nous avons réponse à tout, nous ne prétendons pas que toute solution valable ici réussira là. Mais si nous n’essayons pas, si nous nous contentons de la politique de l’autruche, nous sommes sûrs de ne pas y arriver.
Je redis ma conviction, notre conviction, qui est celle que face à la montée de la misère nous avons à inventer, à permettre de nouvelles formes d’économie solidaire, de nouvelles formes d’économie informelle, qui soient non seulement capables de prendre en compte la misère des vendeurs, mais aussi, on l’oublie trop souvent, des acheteurs, encore bien plus nombreux.
Il en va de notre responsabilité. Si nous ne le faisons pas, alors qui le fera ?