Publié le 16 février, 2010
0Cartographie du bruit : de la difficulté de définir les »zones calmes »
AMENAGEMENT – Actu-Environnement.com – 15/02/2010
Pour limiter les nuisances sonores, les communes doivent identifier et préserver des zones dites »calmes ». Derrière cet adjectif, se cache une multitude de définitions faisant appel plus au ressenti qu’au niveau sonore, de quoi compliquer la tâche.
Dans le cadre de la directive 2002/49/CE relative à l’évaluation du bruit dans l’environnement ambiant, les agglomérations de plus de 100.000 habitants doivent établir des cartes du bruit des infrastructures et des industries présentes sur leur territoire. Une fois ces cartes établies, les communes doivent définir des plans d’action visant à gérer les problèmes de bruit et, si nécessaire, à les réduire. Ces plans visent également à protéger les »zones calmes » contre une augmentation du bruit. Mais pour protéger ces zones, encore faut-il les identifier et là, les choses se corsent sachant que chaque commune peut définir sa propre méthode d’identification.
Distinguer le calme du silence
L’article L572-6 du Code de l’environnement transposant la directive en droit français définit les zones calmes par des »espaces extérieurs remarquables par leur faible exposition au bruit, dans lesquels l’autorité qui établit le plan souhaite maîtriser l’évolution de cette exposition compte tenu des activités humaines pratiquées ou prévues ». Autrement dit, une zone calme pourrait être définie comme telle si son bruit ambiant ne dépassait pas un certain seuil d’intensité sonore mesurée en décibels. Sur le terrain, la réalité est toutefois plus complexe. Les travaux du Centre d’Etudes Techniques de l’Equipement de Strasbourg ont ainsi mis en évidence que le parvis de la Défense à Paris présente globalement un niveau sonore faible. Pourtant l’agitation qui y règne due aux va-et-vient des personnes qui y travaillent n’en fait pas au premier abord une zone calme dans l’esprit des usagers du quartier.
Selon le référentiel réalisé par le Centre de Recherche sur l’Espace, les Transports, l’Environnement et les Institutions Locales (C.R.E.T.E.I.L.) à la demande du Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement Durable et de la Mer (MEEDDM), le calme ne doit pas être appréhendé comme le strict opposé du bruit, mais plutôt comme un sujet par nature multifactoriel. »Le critère acoustique n’est pas suffisant, la notion de calme est plus subjective, plus psychologique », a expliqué Pascal Valentin, chef de la mission bruit et agents physiques au MEEDDM, à l’occasion d’une conférence organisée par la Mairie de Paris sur ce sujet. »Le calme revient à s’extraire de l’agitation urbaine mais sans s’isoler », explique Guillaume Faburel, co-auteur de l’étude du CRETEIL. L’appréciation d’une zone calme mêle ainsi plusieurs caractéristiques comme la morphologie de la zone, son architecture, son aspect fonctionnel, l’ambiance et les paysages ou encore le confort du lieu.
Des méthodologies diverses
Cette approche subjective ne simplifie pas le travail des communes qui doivent manier outils quantitatifs et qualitatifs pour définir ces zones calmes. Certaines d’entre elles ont cependant sauté le pas et mis au point leur propre méthodologie. À Rennes par exemple, l’agglomération a commencé par réaliser ses cartes de bruit en se basant sur des mesures sonores. Cette cartographie lui a permis d’identifier plusieurs zones où le niveau sonore est faible et qui pourraient s’apparenter à des zones calmes. Rennes Métropole a ensuite superposé son Schéma de Cohérence Territoriale (SCOT) pour »filtrer » ces zones en fonction de l’activité et a choisi de ne garder que les espaces verts, les champs urbains, les cimetières ou encore les zones piétonnes en centre ville. »Nous allons désormais travailler avec les communes au cas par cas pour affiner notre liste de zones calmes potentielles », explique Roland Gicquel de Rennes Métropole.
La ville de Bruxelles a également mis en place une méthodologie similaire. En partant des cartes de bruit, la ville a sélectionné des zones potentiellement calmes puis a éliminé les zones d’activités incompatibles avec la notion de calme (un centre commercial par exemple), les autres bruits qui ne sont pas pris en compte dans les cartes notamment le bruit aérien ou encore les zones trop petites. La ville a également travaillé sur l’idée de »trouver le calme à moins de 10 minutes de marche ». »En visualisant la population susceptible de se rendre dans ces zones nous avons mis en évidence des carences », explique Marie-Françoise Ducarne de la Région Bruxelles-Capitale. Dans une seconde phase, la ville entend mettre en place une consultation locale pour affiner sa sélection. L’implication des habitants est en effet essentielle pour établir ces zones calmes. Ces derniers apportent souvent des sélections plus subjectives. D’ailleurs la ville d’Amsterdam a choisi de débuter son identification en se basant sur le ressenti de ses habitants via une enquête. Résultats, 150 zones calmes ont été citées spontanément par la population.
Et après ?
Une fois identifiées, ces zones calmes doivent faire l’objet d’une politique de préservation ce qui n’est pas sans poser de question. En effet, doit-on prévoir une protection stricte au risque de sanctuariser ces zones ? Un concert dans un parc peut-il être interdit au nom de cette protection ? »Il risque d’avoir des conflits entre différentes autorités », prévient Pascal Valentin du MEEDDM. »Il faut donc des compromis pour que ces zones soient respectées », estime-t-il. De plus, l’autorité qui définit ces zones n’aura pas, à elle seule, toute la capacité d’en assurer le maintien. Si l’aéroport voisin décide de modifier les couloirs aériens comme c’est le cas parfois, une zone calme peut très vite devenir un enfer sonore.
Autre interrogation, la mise en valeur de ces zones. Les communes pourraient être tentées par une labellisation mais Guillaume Faburel appelle à la vigilance : »l’effet label risque de provoquer une ségrégation sociale et des inégalités environnementales ». En effet, ces zones calmes risquent de devenir de nouvelles causes de spéculation immobilière. Plusieurs collectivités envisagent d’ailleurs de ne pas rendre ces informations publiques mais d’utiliser leur zonage pour orienter leur politique d’aménagement.
Les cartographies du bruit sont quant à elles disponibles pour de nombreuses collectivités, du moins pour celles qui l’ont réalisé. Car selon le ministère de l’écologie, 40% des communes concernées ont terminé ce premier travail, 40% sont en train d’y travailler et 20% n’ont pas encore entamé leur réflexion. Rappelons que toutes les agglomérations de plus de 250.000 habitants devaient établir leurs cartes du bruit avant le 30 juin 2007 et leurs plans de prévention de l’exposition au bruit avant le 18 juillet 2008. Pour les autres agglomérations de plus de 100.000 habitants, l’échéance a été fixée au 30 juin 2012 pour les cartes et au 18 juillet 2013 pour les plans de prévention.
Florence Roussel