Publié le 6 février, 2012
0Aménagement des voies sur berges – Conseil de Paris
Intervention de Denis Baupin au Conseil de Paris de février 2012.
Monsieur le Maire,
Le 12 janvier 2012 M. Fillon, premier ministre, a donc décidé de bloquer la nouvelle étape de reconquête des voies sur berges que le conseil de Paris avait pourtant dûment approuvé. Nous sommes, paraît-il, au cœur de la pire crise économique depuis des décennies, le chômage bat des records historiques – tout autant d’ailleurs que la défiance de nos concitoyens vis-à-vis des dirigeants de ce pays – mais l’Histoire retiendra que ce 12 janvier, le Premier ministre de la 5ème puissance du monde n’avait rien de mieux à faire, toutes affaires cessantes, que de s’ingérer ainsi dans l’action de l’équipe municipale parisienne.
Notons que le Premier ministre aurait pu, comme d’habitude, faire passer discrètement ses consignes et laisser les services de l’Etat monter directement au front. Depuis 10 ans, il n’a pas manqué d’occasions où des orientations politiques nationales étaient plus ou moins habilement camouflées derrière des arguments techniques pour bloquer l’action municipale.
Mais là, non ! Le Premier ministre a tenu à monter au créneau lui-même, et à faire savoir urbi et orbi que c’était lui qui prenait la décision. Il convient donc de traiter cette décision pour ce qu’elle est : une décision emblématique de l’image que M. Fillon tient à donner de lui-même. Et le moins que l’on puisse dire est que cette décision est porteuse des messages clairs, tant sur le fond que sur la forme, de la conception de M. Fillon de l’avenir de la ville et de la démocratie.
Sur le fond d’abord. Indéniablement, la décision du Premier ministre est conforme à la doctrine défendue depuis 11 ans par le groupe UMPPA. Jamais il n’avait aussi bien justifié son surnom de groupe Uniquement Motivé par la Priorité Partout à l’Automobile ! Depuis 11 ans, il s’est opposé à toutes les initiatives, ou presque, de la municipalité permettant de reconquérir l’espace public et d’améliorer la qualité de vie de nos concitoyens : il était contre le tramway supposé aller à rebours de l’histoire, contre les couloirs de bus, contre les pistes cyclables, contre les places et les boulevards réaménagés, contre les quartiers verts apaisés, contre Paris Plage et la reconquête des berges, etc.
M. Fillon est donc le digne héritier de cette conception de la Ville, ringarde et archaïque – celle d’un Pompidou qui adaptait la Ville à la voiture. Il est aux antipodes de ce que font les villes du monde aujourd’hui, qui toutes tentent de juguler le tout automobile et l’asphyxie des métropoles. M. Fillon a tout juste un demi-siècle de retard.
Permettez moi d’avoir ici une pensée particulière pour M. Goujon. Il y a quelques jours, sans doute soucieux de dépoussiérer l’image de l’UMP, il promouvait un supposé plan national vélo. Personne ne s’y trompait, ce plan ne regroupant, après 10 ans d’inaction et à quelques semaines des élections, que des décisions déjà prises et des promesses sans lendemains. Mais au moins l’intention était là. Et la démarche était d’autant plus louable qu’il y a quelques années encore M. Goujon lui-même tentait de bloquer physiquement les chantiers de pistes cyclables dans son arrondissement. Son problème, c’est qu’un tel plan apparaît encore plus superficiel quand les actes montrent exactement l’inverse. Entre un plan hypothétique et une décision qui affirme la primauté de l’automobile sur tout autre moyen de transports, les actes disent bien plus que les discours l’orientation réelle. L’encre du plan vélo n’est pas encore sèche que le Premier ministre l’a déjà enterré.
Mais, plus encore, c’est sur la forme que la décision de M. Fillon fera date. Jusque là, au moins, malgré controverses et embûches, c’était bien la volonté municipale qui avait prévalu. Ce qui nous a permis de reconquérir l’espace public parisien et de réduire de 25% la circulation automobile.
En instrumentalisant la loi – qui a transféré les compétences de voirie à la Ville de Paris, mais maintenu une compétence de la Préfecture uniquement sur les enjeux de sécurité – et en exerçant un droit de véto discrétionnaire sur une décision municipale, le Premier ministre a contourné l’esprit de la loi et réalisé un véritable coup de force contre la démocratie locale.
Cela ne peut que me conforter dans la conviction qui est la mienne depuis 10 ans. Il est plus que jamais nécessaire de reconnaître la municipalité parisienne comme une municipalité de plein droit. Et donc de mettre fin à l’exception parisienne qui fait de nous la seule municipalité qui ne soit pas reconnue comme responsable de son espace public. Ce dispositif est d’autant plus archaïque qu’en donnant le dernier mot à la Préfecture de Police, il affirme de fait une prééminence de l’automobile sur la qualité de vie, puisque donnant la primauté à la circulation sur la vision globale que nous, élus, avons responsabilité de faire prévaloir.
La décision de M. Fillon signe donc bien une conception non seulement ringarde de l’aménagement des villes, mais aussi jacobine des rapports entre l’Etat et les collectivités locales. En ce sens, le Premier ministre est d’ailleurs en ligne avec le Président de la République qui n’hésitait pas, il y a quelques jours, à mettre à bas tous les PLU de France au bénéfice des spéculateurs immobiliers et des bétonneurs.
En conclusion, je voudrais dire à mon tour que le caractère politicien de la décision du candidat UMP de la 2ème circonscription parisienne n’a échappé à personne. Mais, là encore, quelle vision à courte vue ! En bloquant un projet d’envergure parisienne au nom de quelques dizaines d’électeurs, M. Fillon a mis en évidence qui est sa clientèle privilégiée. Certains lui prêtaient l’ambition de devenir Maire de Paris en 2014. Peut-être devraient ils lui expliquer que Paris ne se limite pas au 7ème arrondissement. A moins bien sûr que ce soit cette mairie là qu’il vise vraiment.
En tout état de cause, nous, nous n’oublierons pas le mauvais coup porté par M. Fillon à l’aménagement de Paris et le retard infligé à un projet porté par la majorité parisienne. M. Fillon a privilégié la politique politicienne à la qualité de vie des Parisiens. Nous nous ferons fort de leur rappeler chaque fois que nécessaire.