Publié le 1 novembre, 2012
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Les enjeux de la sobriété énergétique, l’exemple français, par Denis Baupin
Les défis les plus massifs et les plus urgents que doit relever l’humanité sont liés au gaspillage insensé des ressources fossiles en cours, dont les impacts les plus visibles sont l’épuisement des ressources telles que le pétrole – et sa traduction dans l’accroissement des prix – et le dérèglement climatique. Il est impératif de changer notre rapport à l’énergie, à ne plus la considérer comme un service inépuisable et garanti à jamais, accessible partout et toujours en appuyant sur un interrupteur, un démarreur, ou en tournant un robinet. Mais au contraire comme une ressource rare – au moins pendant les décennies de la transition énergétique – qu’il convient d’utiliser avec parcimonie, dans un usage raisonné.
Entre le gaspillage (dans lequel nous vivons) et la pénurie (qui nous menace), il y a d’autres solutions possibles : il y a la sobriété. Sobriété ne veut pas dire austérité. Dans de très nombreux domaines (habitat, transports, industrie) où on ne s’est jamais posé la question de la réduction de la facture énergétique, on constate même souvent que les premières adaptations qui en découlent permettent déjà des économies considérables.
La sobriété énergétique ne doit plus être un supplément d’âme à traiter quand on aura le temps. Elle doit guider toute démarche économique afin de dénicher très vite des gisements d’économies. C’est un impératif environnemental, mais également social et économique.
Une France structurellement dépendante pour son énergie
En 2011, en France, notre facture pétrolière atteint 61,4 milliards de dollars. Dans le domaine électrique la dépendance est quasi-totale. Non seulement l’uranium est importé à 100% mais, pire, le dogme de l’électricité nucléaire soi-disant bon marché a incité au gaspillage, et même l’hérésie du chauffage électrique… Chaque jour de grand froid, le pic de consommation français constitue la moitié du pic européen ! Notre réseau ne survit que grâce aux importations massives, au moment où l’électricité est la plus chère et la plus carbonée.
Nous consommons toujours plus d’énergie, que nous achetons toujours plus chère. Cela déséquilibre notre balance commerciale, met en péril les industries consommatrices d’énergie et celles qui produisent des biens de consommation énergivores, notamment l’automobile. La chute des immatriculations s’accélère, nos concitoyens n’ayant plus les moyens d’acheter des véhicules de plus en plus consommateurs. Plus globalement, toutes les activités économiques sont fragilisées : les produits transportés sur des milliers de kilomètres verront leur prix impacté par l’accroissement du prix du pétrole.
Les conséquences sociales sont aussi dramatiques. La précarité énergétique touche 8 à 10 millions de français. L’accroissement du prix des carburants s’y ajoute. Les ménages « otages » de leur voiture dans des zones peu desservies par les transports la subissent de plein fouet : perte de pouvoir d’achat et moindre droit à la mobilité, le choc est rude.
Le laisser faire nous mène droit dans le mur. Et force est de constater qu’aujourd’hui ce diagnostic est de plus en plus partagé.
La sobriété énergétique priorité du président Hollande
Fait notable : François Hollande a fait de la transition énergétique et tout particulièrement de la sobriété énergétique et de la lutte contre la précarité énergétique un engagement de sa campagne et une priorité de son mandat présidentiel. Engagement réitéré avec force lors de son discours inaugural de la grande Conférence environnementale qui a réuni les 14 et 15 septembre dernier un grand nombre d’acteurs : industriels, syndicats, organisations non gouvernementales, représentants de collectivités locales, parlementaires, gouvernement, etc.
Jamais la question de la transition énergétique n’avait été portée à un tel niveau politique en France. Quand bien même beaucoup reste à faire, c’est une véritable révolution culturelle qui mérite d’être saluée, d’autant plus que ce discours s’est accompagné de propositions concrètes, notamment dans le domaine du logement qui est le plus grand gisement d’économies d’énergie. Le président de la République a annoncé le lancement dès 2013 d’un vaste plan de rénovation thermique d’un million de logements neufs et anciens par an sur 5 ans. Des pistes de nouveaux financements ont été évoquées, notamment l’utilisation des revenus de la mise aux enchères des quotas d’émission de gaz à effet de serre et un dispositif de tiers-financement renforcé par la contribution des producteurs d’énergie.
La tarification progressive, premier jalon de la transition énergétique
Autre signal marquant de cette évolution des consciences et de cette volonté de faire de la majorité actuelle : l’évolution en cours du système de tarification de l’énergie. Depuis des décennies, la France disposait d’un système de tarification dégressif en vertu duquel plus l’on consomme et moins l’on paie. Quoi de plus anti-écologique et profondément injuste ! Les écologistes n’ont eu de cesse de réclamer la mise en œuvre d’une politique tarifaire progressive, comme le pratique de nombreuses années la Californie. Là-bas, pour un doublement de consommation, les tarifs sont multipliés par 4. Une mesure de bon sens qui a permis à la Californie une maîtrise de sa consommation énergétique. Une proposition de loi instaurant un début de tarification progressive est en cours d’examen au sein du parlement Français. Les députés écologistes tentent actuellement de faire évoluer le dispositif proposé pour qu’il soit plus incitatif et soit un véritablement levier pour la réduction des consommations.
Malgré ses insuffisances, la réforme de la tarification progressive de l’énergie en France est une étape importante parce qu’elle est promeut l’idée qu’il « faut rémunérer le négawatt ». Elle pose les premiers jalons de la transition énergétique qui doit s’amorcer, et dont les contours vont être dessinés dans le cadre d’un grand débat national qui doit se dérouler de novembre 2012 à mai 2013 pour déboucher sur un projet de loi de programmation en juin 2013.
Réduire les consommations à la source
Ce débat doit être l’occasion de « mettre sur la table » un certain nombre de potentiels d’économies importants. Et qui nécessitent la réorientation de politiques structurantes qui accroissent notre dépendance à une source d’énergie et rendront donc d’autant plus difficile la mutation énergétique demain.
L’exemple le plus criant est celui du chauffage électrique, très largement développé en France, censé absorber les surplus de production électrique d’un parc nucléaire surabondant. Outre que le chauffage est un moyen peu efficace d’utiliser l’électricité (avec un rendement énergétique extrêmement faible), cette tendance lourde à l’équipement en chauffage électrique des ménages a d’ores et déjà conduit à deux aberrations. D’une part, au moment de la pointe électrique, le parc nucléaire n’est pas en capacité de produire suffisamment d’électricité et ce sont les centrales thermiques très émettrices de gaz à effet de serre qui sont mises en service, ce qui rend le bilan carbone du chauffage électrique très négatif et alourdit la facture puisqu’on importe aux périodes les plus chères. D’autre part, parce que l’équipement en chauffage électrique paraît peu onéreux à l’achat, de nombreux logements – notamment sociaux – en ont été équipés alors même qu’ils accueillent des locataires à faibles revenus… qui se retrouvent contraints de payer des factures électriques exorbitantes : le chauffage électrique se retrouve ainsi particulièrement générateur de précarité énergétique, et donc de précarisation des usagers déjà les plus vulnérables.
Il faut enfin mettre un terme à cette exception française et promouvoir d’autres modes de chauffage plus pertinent, comme les réseaux de chauffage urbain bien plus pertinents. Au-delà du mode de chauffage, des économies spectaculaires peuvent être réalisées en misant sur un électroménager beaucoup plus sobre : aujourd’hui, un ménage allemand consomme 30 % d’électricité en moins qu’un ménage français !
La mobilité, autre domaine d’économies spectaculaires.
Le développement des transports collectifs en ville fait dorénavant consensus. J’y ai pris ma part à Paris. L’effort doit s’y poursuivre. La prochaine « frontière » est la densification des transports collectifs banlieue-banlieue et l’inter-urbain. Le « toujours plus vite » (autoroutes, TGV, aérien) est énergivore et excluant pour de nombreux usagers. L’Etat (avec les régions) doit s’affirmer autorité organisatrice des transports intérieurs (ferroviaire, routier, aérien, fluvial) et coordonner une politique tarifaire et de développement de l’offre (ferroviaire bon marché, autocars à haut niveau de service) pour irriguer l’ensemble du territoire. Le gisement d’emplois est considérable.
Le modèle automobile doit aussi évoluer. Son coût d’achat et d’usage ne cesse de croître. Cette industrie est menacée d’une crise plus grave que celle de la sidérurgie. Ce n’est pas aux salariés de payer l’inconséquence des constructeurs qui n’ont pas anticipé et conçu les véhicules sobres d’avenir. Or, quel que soit le développement des transports collectifs, nous aurons toujours besoin de véhicules motorisés individuels. Reconvertissons l’automobile pour l’adapter au 21ème siècle : véhicules moins lourds, moins rapides, moins polluants, moins énergivores, et roulant demain aux gaz ou électricité renouvelables.
Plaidant de longue date pour une telle conversion de la filière automobile, dans une perspective industrielle, écologique et aussi de justice sociale, j’ai été heureux d’entendre lors de la clôture de la Conférence environnementale le Premier Ministre fixer l’objectif de disposer dans 10 ans de véhicules consommant 2 litres d’essence aux 100 km, soit un niveau quatre fois plus faible que la moyenne du parc automobile actuel. Ecologiser la filière automobile est un défi majeur. Je vais être prochainement chargé au sein de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) dont la vocation est d’éclairer les parlementaires sur les choix technologiques et industriels qui peuvent influencer leurs décisions, de la rédaction d’un rapport sur la voiture écologique. L’objectif est d’explorer toutes les pistes -motorisation, taille, poids, vitesse, réduction des pollutions – et de définir en conséquence les mesures permettant à la fois de lever les obstacles et de promouvoir des solutions d’avenir, qui garantissent une évolution positive de la filière, une réponse aux besoins de mobilité de nos concitoyens tout en répondant aux enjeux environnementaux, de pouvoir d’achat et d’emploi.
Je n’oublie pas la question essentielle du transport de marchandises. Avec la libéralisation à tout crin, et la libre circulation des marchandises qui en découle, les kilométrages effectués par nos biens de consommation ont littéralement explosé. La sous-facturation du transport, et les écarts massifs de coût de la main d’œuvre d’un continent à l’autre, ont favorisé les délocalisations, multipliant la facture énergétique et le bilan carbone de ce que nous consommons. L’essentiel de ces transports étant effectués par la route, le bilan environnemental de cette politique est catastrophique. Depuis de nombreuses années, nous écologistes dénonçons cette fuite en avant, promouvant le transfert de ce transport de la route vers le rail et la voie d’eau, nettement moins polluants. Mais, même si cette ligne continue d’être pertinente, force est de constater qu’elle a été défaite dans le monde réel. Ma conviction est que si nous voulons inverser cette logique lourde, c’est autant sur la distance parcourue que sur le mode de déplacement qu’il convient d’agir. A l’inverse des logiques qui ont prévalu depuis plusieurs décennies, c’est à une politique de relocalisation et de circuits courts qu’il faut consacrer prioritairement nos efforts, dont l’un des éléments indispensables est de faire payer au transport son juste prix, c’est-à-dire celui de l’impact économique, social et environnemental des distances longues.
Ne pas rater le grand virage énergétique et industriel
Toutes les mutations que je viens d’évoquer (mais aussi les réseaux intelligents, la logistique de proximité, l’agriculture de proximité et de qualité, .. ) font de la crise énergétique l’opportunité d’ouvrir un nouveau cycle, une « 3ème révolution industrielle » vers une industrie innovante, non polluante et surtout beaucoup moins énergivore et consommatrice de ressources. De même qu’il faut passer des énergies du passé aux énergies nouvelles, il faut passer des industries du passé aux industries nouvelles, pour lesquelles non seulement les process de fabrication doivent être écologiques, mais les produits eux-mêmes rompent avec une société de surconsommation, en réduisant leurs propres consommations, en pensant cycles de vie, recyclage, en allongeant leur résistance et donc leurs durées de vie. L’enjeu va donc bien au-delà de la seule création de filières nouvelles. Il s’agit aussi d’organiser la conversion de filières existantes, comme c’est le cas dans l’automobile.
Par million investi, on compte 8,5 emplois dans l’efficacité énergétique, contre 3 dans le nucléaire ou le pétrole. Des centaines de milliers d’emplois peuvent être créés avec le virage énergétique, parce que ce sont des industries particulièrement « intensives » en emploi. Cette mutation est bonne pour l’environnement, pour la justice sociale, pour l’emploi, pour la balance commerciale et le dynamisme territorial.
De nombreux acteurs économiques l’ont compris. Et tout autant les collectivités locales qui sont la « brique de base », pour mettre en œuvre des politiques structurantes liées aux comportements individuels.
Penser global, agir local
Bâtiment, transport, urbanisme, … : les villes sont les mieux placées pour diminuer les consommations énergétiques à la source. Pourtant les obstacles ne manquent pas dans un pays jacobin comme la France, où peu de pouvoirs sont décentralisés aux collectivités locales. Je suis toujours frappé de constater à quel point les villes des pays fédéraux disposent de capacités considérables d’action dont nous sommes privés. Pas étonnant que certaines villes suédoises soient aujourd’hui énergétiquement autonomes à 80 % quand une ville comme Paris est elle dépendante à 100 % d’énergies extérieures (excepté la valorisation énergétique de ses propres déchets).
Acquérir de nouvelles compétences, permettre aux villes d’agir plus efficacement pour lutter contre les crises climatiques et énergétiques est un combat prioritaire à mener. Combat relayé par le réseau européen Energy Cities qui anime ce que l’on appelle la « Convention des Maires ». Plus de 3000 villes en Europe se sont engagées à dépasser les objectifs européens (-20 % d’émissions à l’horizon 2020) et militent pour une reconnaissance de leur rôle, acquérir de nouvelles compétences et de nouveaux financements, notamment européens. En France, les villes membres de la Convention des Maires ont créé avec des industriels et professionnels un lieu inédit, « l’Alliance pour l’énergie locale », qui entend être un véritable « lobby du négawatt ». Un lobby indispensable pour réussir la mutation énergétique, tant sont grandes les résistances de ceux qui ne veulent rien changer, tant contrôler l’énergie c’est contrôler le pouvoir.