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Publié le 10 mars, 2011

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Enquête de télérama : Bisphénol A, alertez les bébés

Télérama – 12.03.2011

Janvier 2010, 28 000 biberons suspectés d’être toxiques sont retirés des crèches parisiennes. Retour sur une affaire édifiante.

C’est une histoire exemplaire. Elle raconte comment, sous l’impulsion de quelques hommes, une collectivité locale – la Mairie de Paris – a décidé d’interdire un produit d’utilisation courante – le biberon en plastique – parce qu’il contenait une substance chimique jugée potentiellement toxique – le bisphénol A – alors que ni la loi, ni les autorités sanitaires française (1) ou européenne (2) ne remettaient en cause son utilisation.

Tout commence par un article publié dans Le Monde du 12 juin 2008. Sous le titre « Les biberons en plastique au coeur d’un débat scientifique », le journal s’interroge sur la dangerosité du bisphénol A (en abrégé BPA). L’article attire l’attention de la conseillère du maire de Paris chargée des âges de la vie, qui le transmet au service de la Ville en charge des familles et de la petite enfance. Pas tout à fait un hasard. Le BPA qu’on trouve un peu partout (biberons, bonbonnes d’eau, boîtes de conserve, canettes …) traîne une réputation controversée. Classé parmi les perturbateurs endocriniens, il est suspecté par de nombreuses études scientifiques d’avoir des effets sur la reproduction et de favoriser certains cancers. Les biberons au BPA viennent même d’être interdits de vente au Canada. La direction de la petite enfance met deux mois à réagir pour conclure qu’il est urgent d’attendre. S’appuyant sur la législation, la sous-directrice écrit dans une lettre du 13 août : « Il paraît souhaitable, afin d’éviter des réactions débordantes (sic), d’attendre la décision du ministère de la Santé qui fera suite aux conclusions de l’A/ssa sur le sujet. »

L’affaire rebondit, en Janvier 2009, grâce à un reportage diffusé par France 2 dans Complément d’enquête. Son titre est éloquent : « Biberons empoisonnés» son contenu troublant, car il donne la parole aux scientifiques qui pointent la toxicité du BPA. A la Mairie de Paris, le reportage ne passe pas inaperçu. Cette fois, c’est l’adjoint au maire chargé de la petite enfance, Christophe Najdovski, qui monte au créneau. L’élu Verts envoie à son tour une lettre à la direction des familles et de la petite enfance. Le ton est diplomatique, les arguments politiques ( « L’attentisme de la Ville pourrait être de plus en plus critiqué » ) et la conclusion sans appel: « Je souhaite que toutes les solutions permettant de ne plus recourir aux biberons contenant du BPA soient recherchées et analysées. » Autrement dit, il faut appliquer le principe de précaution inscrit dans la Constitution française. Les élus Verts au Conseil de Paris tentent alors d’« ambiancer » l’entourage du maire. Pas évident. « Bertrand Delanoë est plus scientiste qu’écolo. Revendiquer le principe de précaution n’est pas dans sa culture », raconte Denis Baupin, son adjoint à l’environnement. Ils ont pourtant un argument majeur : des solutions alternatives au biberon au BPA existent. On commence à trouver des biberons en plastique sans BPA et on peut revenir aux bons vieux biberons en verre. Problème, les biberons sans BPA coûtent plus cher et les biberons en verre cassent.

Le débat avance pourtant avec une nouvelle interrogation: faut-il renouveler tous les biberons en une seule fois ? La question n’est pas tranchée quand, le 17 avril, une dépêche AFP citant Christophe Najdovski et Denis Baupin annonce que « la Ville de Paris ne veut plus de biberons au BPA pour ses crèches » . La dépêche fait bondir Nicolas Revel, le directeur de cabinet de Bertrand Delanoë, qui se fend d’un coup de fil peu amène à leur encontre sur le thème de « l’annonce prématurée » . Les deux élus ont-ils forcé la main au maire de Paris ou simplement court-circuité la communication de la Mairie de -Paris ? L’un et l’autre jurent qu’ils avaient obtenu l’accord de Bertrand Delanoë. Accord verbal seulement, car la décision écrite n’interviendra que quelques semaines plus tard. Le 1er janvier 2010, les vingt-huit mille biberons des quatre cent trente crèches et haltes-garderies municipales sont remplacés en une seule fois pour un tiers par des biberons en verre et pour le reste par des biberons en plastique sans BPA. Surcoût pour la collectivité cinquante-huit mille-euros. Les biberons obsolètes ont été recyclés en granules destinés à la fabrication de lunettes et de phares de voiture.

Six mois plus tard, le Parlement français vote à l’unanimité une loi interdisant la commercialisation des biberons au BPA. Faut-il aller plus loin et interdire le BPA dans tous les contenants alimentaires ? C’est la
logique. Lors de la discussion du projet de loi, Valérie Létard, alors secrétaire d’Etat au Développement durable, avait promis que « le gouvernement s’engageait à revenir devant le Parlement en janvier 2011 pour décider de l’opportunité d’aller vers une évolution de la réglementation du BPA. » Janvier est passé sans que rien ne se passe. Le ministère de l’Ecologie nous a cependant certifié que le gouvernement tiendrait parole … dans quelques mois.

Olivier Milot

(1) L’Anses, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, est issue de la fusion, en juillet 2010, de l’Afssa, Agence française de sécurité sanitaire des aliments, avec l’Afsset, Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail.

(2) L’Efsa (European Food Safety Authority), Autorité européenne de sécurité des aliments. A voir Notre poison quotidien, le 15 mars à 20h40 et le 18 mars à 10h10 sur Arte. La Grande Invasion, de Stéphane Harel, prochainement sur France 5. Mâles en péril, de Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade, le 1er avril à minuit sur Arte.

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