Publié le 23 septembre, 2009
0Pour un Grand Paris de l’énergie
Pour un Grand Paris de l’énergie
Denis Baupin, adjoint au maire de Paris
Au cœur de l’avenir des villes, deux questions émergent : le fait métropolitain – le Grand Paris en est le casse-tête emblématique – et l’invention de la ville « post pétrole ». Paradoxalement ces deux problématiques peinent à se rencontrer, symbole que la question énergétique reste entre toutes emblème de l’Etat centralisé. Et si l’avenir était à l’affirmation d’une compétence métropolitaine de l’énergie. Une question politique d’actualité.
Au regard des enjeux du 21ème siècle, l’urgence s’impose. De la capacité de l’humanité à traiter sa mutation énergétique dépend l’avenir des civilisations urbaines. L’épuisement du modèle basé sur les ressources centralisées (pétrole, gaz, charbon, uranium) est patent. Qu’on l’aborde par l’amont – l’épuisement à venir des réserves traduit par des évolutions erratiques des prix – ou l’aval – le dérèglement climatique – la mutation est inexorable. Les premières concernées seront les grandes métropoles.
Deux fils directeurs : la sobriété et la réduction des vulnérabilités.
La sobriété est la condition pour éviter de passer brutalement de la surabondance factice et du gaspillage à la pénurie et au rationnement demain. Des signes convergents indiquent que la mutation est engagée : transports collectifs et vélo, constructions passives, voire à énergie positive, réhabilitations thermiques, éclairage public, espaces infos énergie, agences locales de l’énergie, etc. Mais elle reste éparpillée, fragmentaire.
Etape suivante : passer de l’expérimentation à une véritable stratégie « négaWatt ». Outre l’abandon d’hérésies urbaines (l’obsession des tours énergivores), elle peut s’appuyer sur de gigantesques gisements d’économie comme la réhabilitation thermique des grands ensembles de Paris et sa banlieue, stupéfiante impasse de la consultation architecturale sur le Grand Paris ! Un chantier majeur certes moins sexy que des gestes architecturaux grandioses, mais qui modifierait structurellement notre facture énergétique et notre vulnérabilité aux énergies fossiles, soulagerait le quotidien de nos concitoyens chez qui la précarité énergétique fait des ravages, et créerait des dizaines de milliers d’emplois non délocalisables.
Maîtriser localement l’énergie
Les zones urbaines représentent 50% de la population mondiale – 75% en Europe. Impossible de tenir les futurs engagements de Copenhague sans elles. Passer de l’éco-quartier à l’éco-ville, à l’éco-agglomération c’est assumer que les villes auront un rôle majeur dans la réduction des consommations mais aussi dans la production et la distribution de l’énergie.
A l’ère nouvelle qui s’ouvre, les énergies souples, décentralisées, renouvelables ont vocation à remplacer les énergies dures, centralisées, épuisables. Au moment où, de Vienne à Copenhague en passant par Berlin, Stockholm ou Bruxelles fleurissent les projets « énergie intelligente », quand les directives et programmes européens s’intéressent aux compteurs et réseaux intelligents, la précarité énergétique, la rénovation des bâtiments, l’intégration des énergies renouvelables… affirmer cette compétence municipale au pays du jacobinisme est devenu incontournable. Même les lois Grenelle qui confient timidement aux territoires la responsabilité des politiques énergétiques et climatiques en prennent acte.
D’ailleurs, même au pays de l’atome roi, on ne part pas de rien. Petit à petit, les municipalités expérimentent la production renouvelable pour l’électricité (photovoltaïque, mini éolien, voire hydrolienne fluviale) et la chaleur (biomasse, méthanisation des déchets, solaire thermique). Les projets fusent et essaiment sur le territoire.
Dépasser les limites territoriales
Pas question, pour autant, de se replier derrière les frontières administratives. La géothermie, qui « arrose » l’ensemble du bassin parisien, est emblématique de la nécessité de penser la gestion de la ressource à l’échelle d’un territoire vaste : avec Aubervilliers quand on fore à Paris Nord Est, ou Clichy quand on fore aux Batignolles.
Ce changement d’échelle n’a pas échappé à la consultation internationale des architectes. Comme l’a constaté l’Apur (atelier parisien d’urbanisme) dans sa « petite synthèse du Grand Paris » : « le premier impératif est d’augmenter la part des renouvelables et de produire l’énergie au plus près des consommateurs »[1]
Des outils existent : la CPCU permet à Paris de disposer du deuxième réseau de chauffage urbain européen (après Moscou) ; le Syctom gère les déchets de l’agglomération et s’oriente résolument vers leur valorisation et leur méthanisation ; ici et là des Sem de production énergétiques.
Encore faut-il, mettre en réseau ce potentiel pour une stratégie énergétique territoriale et oser s’emparer des enjeux cruciaux situés à la conjonction de la production et de la distribution. Les blocages peuvent venir de verrous industriels qu’il convient de remettre en question. Au moment où dans de nombreux pays – aux Etats-Unis mêmes – l’heure est aux smarts grids, réseaux intelligents basés sur les mêmes logiques qu’Internet, permettant de faire de chaque particulier, chaque entreprise, un producteur d’énergie via les appareils de production installés sur ses bâtiments devenus centrales énergétiques de fait, la France, ses énergéticiens, ses réseaux de distribution ne peuvent continuer à ramer à contre-courant. Les collectivités ont vocation à peser de tout leur poids pour que notre pays ne rate pas, une fois encore, la mutation.
Prenons l’électricité. La loi de 1946 a confié à EDF un monopole de concession pour l’exploitation des réseaux publics de distribution d’électricité, dont la propriété, et donc la responsabilité, sont pourtant restées communales. Sur 5% du territoire la distribution reste d’ailleurs assurée par des régies locales (dans des villes – Grenoble, Bordeaux, Strasbourg, Metz – ou des départements – les Deux Sèvres, la Vienne). Un demi-siècle plus tard, fin 2008 quand les tempêtes ont révélé la fragilité du réseau ERDF due au sous-investissement chronique au profit des lignes à très haute tension exigées par le nucléaire, les régies ont su maintenir, par des investissements réguliers, un niveau exceptionnel de qualité au service des ménages et des entreprises présents sur leur territoire.
Au moment où Paris, son agglomération, et nombre d’autres villes françaises vont renégocier les conventions qui les lient aux grands distributeurs d’énergie, la question doit être posée de savoir si le service public de l’énergie du 21ème siècle ne peut être conçu qu’au niveau national, mis en œuvre par les oligopoles publics ou privés, ou si une maîtrise locale de ce service public ne serait pas plus pertinente et efficace.
Ces questions se posent tout autant au regard de l’entretien du patrimoine et des réseaux que des objectifs d’une politique énergétique. Doit-on se limiter à produire et distribuer toujours plus d’énergie – on se souvient de l’affaire Voltalis – et à accroître lourdement les tarifs des ménages les moins consommateurs pour compenser des investissements coûteux et douteux ? Ou rappeler que le service public s’évalue plutôt en service rendu à l’usager, efficacité énergétique, réduction des consommations, diversification des modes de production, lutte contre la précarité énergétique, etc. ?
D’autant que l’évolution profonde des législations européennes grâce aux députés Verts européens afin de faire prévaloir l’intérêt général environnemental permet de sortir du conservatisme. Et que l’existence, aux frontières de Paris, d’un syndicat mixte, le Sipperec, qui met en commun les intérêts de 86 communes de l’agglomération est l’occasion à l’heure du Grand Paris de mettre fin à la schizophrénie historique qui a conduit la Capitale à penser son destin électrique séparément de ses voisins.
Pour un service public local de l’énergie
Ces questions sont loin d’être uniquement techniques. Elles touchent à notre capacité à répondre aux enjeux climatiques et énergétiques de demain, y compris à l’adaptation de nos territoires à ces crises, à nous rendre moins vulnérables par la réduction de nos dépendances aux énergies importées, à rendre notre société plus robuste par plus de justice sociale quand la réduction de la précarité énergétique et la création de dizaines de milliers d’emplois non délocalisables sont au rendez-vous. Elles contribuent même à réduire les risques de conflits géopolitiques dans le monde, aujourd’hui principalement axés sur le contrôle des ressources énergétiques.
N’est ce pas là le cahier des charges d’un service public de l’énergie du 21ème siècle ? Inventons l’outil adapté aux enjeux d’aujourd’hui, au service de l’intérêt général : un service public local de l’énergie, au plus près des citoyens et des territoires… un champ d’investigation prioritaire pour le syndicat mixte d’étude Paris Métropole qui commence à voir le jour !
Denis Baupin