Publié le 6 novembre, 2014
0Quelles menaces les drones font-ils peser sur les centrales nucléaires ?
La centrale nucléaire en cours de démantèlement de Creys-Malville (Isère) a une nouvelle fois été survolée par un drone, lundi 3 novembre au soir. Depuis un mois, treize centrales françaises ont été survolées par des aéronefs sans pilote à une ou plusieurs reprises, soit un total de dix-neuf survols. L’identité des responsables de ces opérations et leurs motivations restent inconnues.
Les directeurs de sites EDF visés ont porté plainte pour violation de l’espace aérien au-dessus des centrales, leur survol étant totalement interdit. Des incidents qui suscitent l’embarras des autorités et l’évocation dans les médias de nombreuses hypothèses, inquiétantes ou farfelues.
• Comment les drones civils fonctionnent-ils ?
Plusieurs modèles de drones civils existent, allant de quelques centaines de grammes à plusieurs kilos. Les modèles utilisés pour les survols des centrales seraient assez importants, selon une source proche de l’enquête, avec une envergure dépassant les 50 centimètres, et pouvant peser de 5 à 10 kilos, charge comprise. L’autonomie de vol excède rarement une vingtaine de minutes et le rayon d’action avoisine les 1 000 mètres.
Ils peuvent être pilotés à vue, au moyen d’un système de radio commande, comme pour les modèles d’aéromodélisme. Dans le cas de survols de nuit, ce type de pilotage est peu probable. Il s’agirait alors d’un système de vol automatique, le drone étant programmé (position, altitude), et suivant une trajectoire basée sur des points GPS, le « POI » (« point of interest »). Les prix de tels aéronefs peuvent varier de 7 000 à 15 000 euros, explique Florent Marandon, directeur de Drone RC, une société spécialisée basée à Nancy qui travaille notamment avec les professionnels de l’image (photo, vidéo) et des sociétés désirant faire des analyses de chantier : archéologie, inspection de bâtiments pour les déperditions de chaleur, construction, etc.
• Ces drones représentent-ils un danger pour la sécurité des centrales ?
La menace directe est faible. Le 30 octobre, le ministère de l’intérieur a assuré que ces survols ne représentaient « aucun danger pour la sécurité des installations survolées ». « La capacité d’emport des drones est insuffisante pour remettre en cause la sécurité des installations nucléaires », confirme le secrétariat général à la défense et à la sécurité nationales (SGDSN), dépendant du premier ministre et chargé de la sécurité des centrales.
Les drones, même transportant des explosifs, ne peuvent en effet pas infliger de graves dégâts à une centrale nucléaire vu leur petite taille, leur faible poids et le fait qu’ils ne peuvent pas porter de grosse charge. Or l’enceinte de béton du bâtiment réacteur – composée d’une ou deux parois, selon la puissance du réacteur, épaisse de 55 à 120 centimètres – est censée résister au crash de petits avions.
• Quelles sont les faiblesses dans la protection des centrales ?
Il existe par contre une menace indirecte, à savoir la possibilité d’un repérage des équipements des centrales en vue d’un acte terroriste. « Les survols ayant tous eu lieu la nuit, les drones pourraient, à l’aide de caméras thermiques, repérer comment accéder aux transformateurs, qui reçoivent l’électricité basse tension et la transforment en courant haute tension avant de l’envoyer sur le réseau, avance Bruno Comby, ingénieur en génie nucléaire et président de l’association des écologistes pour le nucléaire. Une attaque qui viserait les transformateurs d’une quinzaine ou vingtaine de centrales plongerait la France dans le noir. »
L’hypothèse d’un repérage semble toutefois peu réaliste pour les experts d’EDF chargés des centrales. Les plans et les photographies présentant les installations, notamment la situation des divers bâtiments, sont accessibles assez facilement. Ils ont même accompagné la présentation des centrales, sur le site ou sur des plaquettes diffusées au public, expliquent-ils.
Les écologistes, de leur côté, craignent une attaque des installations nucléaires et donc un risque pour la sûreté des centrales. Selon un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques datant de 1998, les 58 réacteurs français sont conçus pour résister à la chute (accidentelle ou volontaire) d’un avion de type Cessna 210 ou Learjet. Soit, pour le premier, un monomoteur à hélice de 1,5 tonne et, pour le second, un biréacteur d’affaires de plus de 5 tonnes. Mais aucun test n’a été réalisé en ce qui concerne les gros porteurs de type Airbus A320 ou A380 ou Boeing 747 – d’un poids de 400 à 500 tonnes –, dont le risque de chute accidentelle avait été jugé improbable. Les stress tests, réalisés en 2011 sur toutes les centrales européennes à la suite de l’accident de Fukushima, n’ont pas non plus porté sur ces risques.
Enfin, aucun test n’a été réalisé quant à la résistance du toit en bardage métallique et des murs des piscines qui abritent les combustibles usés. « Les installations nucléaires sont des cibles, et leur point faible réside dans les piscines, qu’il s’agisse de celles des réacteurs ou celles de La Hague, où peut être stocké un millier de tonnes de combustible radioactif, prévient Denis Baupin, vice-président EELV de l’Assemblée nationale. Un endommagement de la piscine entraînerait un écoulement de l’eau et donc la mise à l’air libre des combustibles irradiés. » L’ancien rapporteur de la commission d’enquête sur les coûts du nucléaire demande la bunkérisation des piscines et l’ajout d’appoints indépendants en eau, ainsi que la réalisation de stress tests sur les risques de chute d’avion, d’agression extérieure ou de piratage informatique.
L’Autorité de sûreté nucléaire a indiqué en 2013 à EDF qu’elle souhaitait que l’entreprise procède à un renforcement du toit des bâtiments abritant la piscine de désactivation. Les installations de l’EPR en cours de construction à Flamanville (Manche) seront, elles, davantage « bunkérisées » grâce à une coque en béton armé qui protègera à la fois le bâtiment réacteur, celui de la piscine et les bâtiments abritant les systèmes de sauvegarde.
• Comment les centrales sont-elles protégées ?
Les survols des centrales sont interdits dans un périmètre de cinq kilomètres et de 1 000 mètres d’altitude. Ils sont passibles d’un an d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
Les 19 centrales et le centre de stockage de Creys-Malville sont protégés par les pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie (PSPG). Depuis 2009, chaque site abrite un peloton de 40 à 60 personnes – selon son importance –, soit 760 gendarmes au total. Formés par le Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), ils patrouillent aux abords des sites vingt-quatre heures sur vingt-quatre et interviennent immédiatement en cas « d’intrusions et d’actes de malveillance ». Le groupement de gendarmerie départemental peut leur apporter leur appui dans un second temps. En dernier ressort, c’est le GIGN qui intervient, l’équipe d’alerte d’une trentaine d’hommes devant pouvoir se déployer sur un site attaqué en moins de deux heures avec des hélicoptères positionnés à Villacoublay (Yvelines).
Les centrales nucléaires sont en outre sécurisées par un système d’alarme anti-intrusion et une clôture électrifiée. Dès son franchissement, le périmètre du site est alors «bunkérisé», tous les accès aux salles de commande et aux bâtiments réacteurs étant bloqués. Les gendarmes utilisent également des caméras de vidéosurveillances pour suivre l’intrusion.
Enfin, l’espace aérien du site est surveillé par des radars et protégé par des batteries de lance-missiles. En cas de survol suspect, des avions de chasse de l’armée de l’air doivent intervenir en moins de quinze minutes.
Les cas précédents de survol de sites nucléaires ont été, pour la plupart, l’œuvre de pilotes d’avion de tourisme qui s’étaient égarés et ont été amenés à se poser, parfois escorté par des Mirage de l’armée de l’air. L’espace aérien a aussi déjà été violé par Greenpeace, qui voulait démontrer la faiblesse du dispositif de protection aérien. Le 2 mai 2012, un parapente motorisé piloté par un militant de l’organisation écologique a ainsi survolé la centrale du Bugey (Ain) avant de se poser dans l’enceinte. « Il a fallu soixante-dix minutes avant que l’hélicoptère de la gendarmerie n’arrive », avait alors dénoncé Greenpeace, en présentant aussi les images d’un survol à basse altitude du site de retraitement de La Hague (Manche) en novembre 2011.
• Comment neutraliser les drones ?
Le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, interrogé sur France Info le 30 octobre, assure que des dispositions existent pour neutraliser ces drones mais se refuse à en donner les détails. « Les gendarmes qui surveillent les centrales ont pour instruction permanente d’ouvrir le feu en cas de menace sérieuse pour les centrales. Mais si on l’abat, il n’y a plus aucune chance de retrouver le pilote. L’objectif peut donc être de le suivre », confie-t-on au secrétariat général à la défense et à la sécurité nationales.
Abattre des drones n’est de toute façon pas chose aisée. « Les tirer avec des fusils à pompe, dont sont équipés les gendarmes, est extrêmement difficile. De même qu’essayer de toucher ces petits engins de quelques centimètres, avec une masse métallique très faible, avec un Mirage 2000, un Rafale ou des missiles air-air », confirme Bruno Comby.
Autre parade : le brouillage des signaux électromagnétiques, afin de bloquer le signal entre le pilote et son engin. Le problème est que cette technique ne fonctionne pas dans le cas de drones programmables et auto-pilotés et qu’elle risque également de brouiller les signaux d’autres équipements électroniques dans le voisinage. Enfin, plusieurs sociétés américaines ont développé des systèmes de protection basés sur des lasers, capables d’abattre des drones ou des missiles en plein vol.
• Quelle est la réglementation pour les drones ?
Quelque 800 sociétés proposant des prestations avec des drones sont référencées aurpès de la direction générale de l’aviation civile (DGAC). « On peut estimer à environ 2 500 le nombre de drones professionnels, sans compter les nombreux drones de loisirs, avance Florent Marandon, directeur de Drone RC. Trente et un constructeurs de drones sont référencés, mais il est tout à fait possible de construire soi-même son drone, en achetant les divers éléments dans le commerce (chassis en carbone, moteur électrique, ordinateurs, radio, centrale inertielle, capteurs, etc.). »
La réglementation pour l’utilisation de ces aéronefs est assez stricte. En règle générale, le vol doit se faire sous une altitude limite de 150 mètres. « Pour un usage professionnel, il faut disposer, comme pour un permis de conduite, du code, un brevet théorique semblable à celui qui est demandé pour un ULM, explique Erwan Savio, directeur du Centre de formation et d’apprentissage du drone (CFAD). Il faut aussi une déclaration du niveau de compétence (DNC) et toutes les données sont transmises à la DGAC qui délivre une attestation de dépôt de manuel d’activité particulière (MAP). »
Quatre scénarios différents existent réglementant l’altitude (de 50 à 150 mètres), le rayon d’action (d’une centaine de mètres à un kilomètre), le poids total avec matériel embarqué (de 4 à 25 kg) et le mode de pilotage (à vue, automatique ou au moyen d’une caméra embarquée pour des vols avec rayon d’action important).
Enfin, pour pouvoir faire voler un drone, il faut consulter les cartes aéronautiques de la DGAC, indiquant les zones « impénétrables », comme une centrale nucléaire, ou la localisation des aérodromes limitant ainsi l’altitude de vol autorisé.
Le Monde.fr | 05.11.2014 Par Rémi Barroux et Audrey Garric